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Téhéran / Washington : le risque de l’embrasement (1/3)

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Un an après le retrait des États-Unis du Plan d’action global conjoint (JCPOA), la relation conflictuelle entre Washington et Téhéran emprunte depuis le début du mois de mai un tournant périlleux. La pression croissante exercée par l’administration Trump sur l’Iran s’est transformée en une impasse prévisible et tendue. Si les dirigeants des deux pays disent ne pas vouloir de conflit, leur rhétorique, leurs menaces et leurs actions laissent craindre un embrasement dans le Golfe Persique. Pris entre le marteau et l’enclume, les Européens ont bien du mal à réagir avec efficacité.

Pour rappel, le JCPOA avait été signé en juillet 2015 entre l’Iran, les cinq membres du Conseil de Sécurité de l’ONU et l’Allemagne. Conclu pour une période de dix ans, cet accord garantit le caractère strictement pacifique du programme nucléaire iranien. Il est ainsi soumis à une surveillance draconienne de la part de l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA). En échange, les États signataires devaient progressivement lever les sanctions asphyxiant l’économie iranienne. Donald Trump s’est retiré de l’accord le 8 mai 2018.

Hassan Rohani, Président de l'Iran, depuis Téhéran
Hassan Rohani a lancé un ultimatum de 60 jours aux Européens

Montée des tensions

Deux jours après des “actes de sabotage” contre quatre navires, dont deux tankers saoudiens au large du port de Fujairah (Émirats Arabes Unis), des installations pétrolières ont été la cible d’attaques de drones le 14 mai en Arabie saoudite. Ces dernières attaques ont été revendiquées par les rebelles houthis. Appuyés par l’Iran, les houthis s’opposent au gouvernement dans la guerre qui sévit au Yémen depuis quatre ans. Ces attaques interviennent dans un contexte de montée des tensions entre Téhéran et Washington depuis le début du mois.

Le 10 mai, le Pentagone a annoncé l’envoi au Moyen-Orient d’une batterie de missiles Patriot et de l’USS Arlington, un navire de guerre transportant des véhicules, notamment amphibies. Ce dispositif s’ajoute au déploiement du porte-avions USS Abraham Lincoln et au détachement spécial de bombardiers B-52 de l’USS Air Force face à des menaces d’attaques « imminentes » de la part de l’Iran. Les États-Unis craignent que l’Iran ne frappe directement ou par procuration des cibles américaines au Moyen-Orient. À ce titre, le département d’État américain a ordonné, mercredi 15 mai, à son personnel diplomatique non essentiel de quitter l’ambassade de Bagdad et le consulat d’Erbil en Irak.

Les tensions sont encore montées d’un cran le 19 mai, lorsque Donald Trump a menacé l’Iran de destruction en cas d’attaque contre des intérêts américains. « Si l’Iran veut se battre, ce sera la fin officielle de l’Iran. Plus jamais de menaces à l’encontre des Etats-Unis », a averti le président américain à l’intention de Téhéran. Ces « railleries génocidaires », selon les mots du ministre des Affaires étrangères iranien Mohammad Javad Zarif, sont les dernières étapes de la campagne de pression maximale que Trump impose à l’Iran. Depuis son entrée en fonction, ce dernier accuse l’Iran de tous les maux, y compris du terrorisme international. En avril, les États-Unis ont désigné le Corps des Gardiens de la Révolution islamique comme une organisation terroriste. C’est la première fois que les États-Unis classifient une branche du gouvernement d’un pays comme un groupe terroriste. Les États-Unis ont également accentué leur pression économique sur Téhéran.

Guerre économique, guerre psychologique

Malgré le désaccord des grandes puissances mondiales, Washington a transformé le système financier global en une arme économique contre Téhéran. Début mai, Trump a imposé une nouvelle salve de sanctions économiques à l’Iran. Il a mis fin aux dérogations obtenues par huit pays (Chine, Inde, Turquie, Japon, Corée du Sud, Taïwan, Italie, Grèce) pour l’approvisionnement en pétrole iranien. Il a également pris de nouvelles sanctions visant les secteurs de l’acier, du fer, de l’aluminium et du cuivre. Téhéran a qualifié ces pressions de mouvement de guerre psychologique visant à entraîner leur pays dans un conflit militaire.

Minée par les sanctions de Washington, l’économie iranienne est en profonde récession. Le Fonds Monétaire International (FMI) estime que le PIB du pays devrait chuter de 6% en 2019. L’inflation annuelle pourrait atteindre 40% et la monnaie iranienne a perdu 68% de sa valeur. L’extraterritorialité des sanctions américaines a incité bon nombre de sociétés à quitter le pays. Les autres ont réduit leurs activités de manière draconienne, comme Samsung, de crainte de perdre leur accès au marché américain. Même les biens non sanctionnés, tels que la nourriture et les médicaments, n’atteignent pas l’Iran en quantités suffisantes. Si la Chine, l’Europe et la Russie ont maintenu leurs engagements, ils se sont montrés incapables de respecter leur promesse d’avantages économiques pour l’Iran.

La riposte de Téhéran

Face aux nouvelles sanctions et à l’inaction européenne, chinoise et russe, Téhéran a décidé de riposter. L’Iran a annoncé mercredi 8 mai qu’il revenait sur deux de ses engagements pris lors de la signature du JCPOA. Selon les mots du président iranien Hassan Rohani, l’Iran a estimé que « l’accord nucléaire avait besoin d’une opération chirurgicale, et que les soins palliatifs administrés durant l’année écoulée avaient été inutiles. Cette opération a pour but de sauver l’accord, pas de le détruire ». Donald Trump s’est retiré du JCPOA le 8 mai 2018, qualifiant le texte de « désastre ».

L’objectif de l’administration Trump est d’obtenir une renégociation de l’accord aux conditions de Washington. Celles-ci portent à la fois sur le volet nucléaire, sur la prolifération des missiles balistiques et sur l’engagement de l’Iran dans les conflits du Moyen-Orient. Refusant toute nouvelle négociation, l’Iran a, à plusieurs reprises, dénoncé le retrait injustifié des États-Unis. Téhéran accuse Washington de vouloir priver le pays de ses points forts. Par ailleurs, les inspecteurs de l’AIEA ont publié une douzaine de rapports depuis 2015 montrant que Téhéran respectait ses engagements.

Un ultimatum de 60 jours

Le geste est symbolique : pour la première fois, Téhéran répond sur le terrain nucléaire aux pressions américaines. Le pays a annoncé qu’il ne limiterait plus ses stocks d’uranium faiblement enrichi et d’eau lourde. L’accord de 2015 autorisait l’Iran à produire et conserver sur son sol 300kg d’uranium enrichi à moins de 3,67% – loin des 90% nécessaires pour un usage militaire – et 13 tonnes d’eau lourde utilisée pour refroidir les réacteurs. Téhéran prend ainsi acte des sanctions imposées le 5 mai lui interdisant d’exporter sa production d’eau lourde vers Oman et de vendre son uranium enrichi à la Russie.

Téhéran a lancé un ultimatum de 60 jours aux autres signataires pour « rendre opérationnels leurs engagements, en particulier dans les secteurs pétrolier et bancaire », sans quoi l’Iran contreviendra à d’autres clauses de l’accord. La République des Mollahs mettra notamment un terme à la reconfiguration de son réacteur nucléaire d’Arak. Anciennement destiné à produire du plutonium hautement enrichi, il a été transformé en réacteur de recherche. L’Iran cessera également d’observer les restrictions consenties sur le degré d’enrichissement de l’uranium, ouvrant ainsi la voie au nucléaire militaire. Enfin, Rohani a annoncé une dernière mesure sans en préciser la nature qui prendra effet en septembre 2019.

Malgré leur décision, les Iraniens demeurent engagés dans le processus entamé à Vienne. Le JCPOA prévoit en effet une telle entorse de la part de Téhéran. Deux articles traitent du droit de l’Iran à suspendre certains de ses engagements en cas de non-levée des sanctions internationales. Il s’agit néanmoins d’une nouvelle entaille dans un JCPOA déjà fragilisé. L’Iran a déclenché le compte à rebours de son propre retrait. Face à la crispation grandissante des différents acteurs, le risque d’embrasement dans le Golfe Persique est réel.

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Solène VIZIER

Solène Vizier est diplômée d’un Master 2 Etudes Stratégiques. Passionnée de géopolitique, ses domaines de spécialisation concernent les mondes hispanophone et russophone, le désarmement nucléaire et la géopolitique du sport. Elle est rédactrice aux Yeux du Monde depuis avril 2019.

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