Le Dakar peut-il affaiblir la candidature d’Evo Morales à la future élection présidentielle bolivienne ?
Les manifestations contre le passage du Dakar en Bolivie s’inscrivent dans un mouvement global de contestations sociales à l’encontre du Président Morales. Les tensions se cristallisent autour de l’épineuse réforme du code civil et de la nouvelle candidature anticonstitutionnelle du « cocalero » (surnom donné au président, ancien producteur de coca).
Le Dakar est souvent présenté par ses promoteurs comme une agence de tourisme pour les territoires qu’il traverse. Les États payent, à ce titre, une franchise pour accueillir le rallye raid. Cette année, la Bolivie a dépensé pas moins de 4 millions de dollars pour recevoir la course. Or ces frais, présentés comme des investissements aux supposées retombées économiques et touristiques, sont largement contestés par une partie de la population. A la Paz, des manifestants fortement encadrés par les forces de l’ordre ont accueilli les premiers concurrents sous les huées, au cri de « nous ne voulons pas du Dakar, nous voulons des hôpitaux ». En effet, pour son troisième mandat, Evo Morales est rejeté par de nombreuses sphères de la société. Les mineurs, comme ceux de Panduro qui ont séquestré et assassiné un vice-ministre en 2016, contestent la révision du code du travail. Les handicapés boliviens manifestent également et réclament quant à eux des aides sociales. Leur dernière manifestation a été dispersée violemment à l’aide de gaz lacrymogènes. Les habitants de Santa Cruz, le poumon économique du pays, qui constituent la principale force d’opposition au garant du socialisme indigène (politique menée par Evo Morales qui associe indianisme, nationalisme et socialisme) ont aussi exprimé leur désapprobation.
Mais que se cache-t-il vraiment derrière ces manifestations ? Ces mobilisations contre le Dakar révèlent les nouvelles préoccupations d’une partie de la société bolivienne au sujet de la réforme du code civil et des prochaines élections présidentielles. Tout d’abord, depuis 2016, le Président Morales tente de modifier la constitution bolivienne afin de briguer un 4ème mandat. Un référendum populaire a été organisé afin de légitimer ce changement constitutionnel. Pourtant, après une longue campagne, le « NON » l’a emporté de justesse ce qui a poussé le parti au pouvoir, le MAS (Mouvement pour le Socialisme), à étudier de nouvelles options. En saisissant le Tribunal constitutionnel, largement acquis à la cause du cocalero, le gouvernement a pu passer outre l’issue du référendum. Dans son jugement, le tribunal a en effet considéré que le droit de se présenter librement à la présidence dépasse le cadre constitutionnel et ses limites. Suite à cette décision le Président Morales pourra donc briguer un nouveau mandat en 2019, ce qui lui permettrait de conserver le pouvoir jusqu’en 2025.
Le Dakar divise une société de plus en plus fracturée et irréconciliable
En outre, le passage du Dakar a mis en exergue le conflit qui oppose le gouvernement au corps médical. La majorité des hôpitaux boliviens est en grève et seules les « urgences médicales » sont assurées. Les médecins ont par ailleurs menacé de ne pas porter secours aux participants du rallye raid. La controverse porte sur les réformes liberticides du code civil qui prévoient notamment des sanctions extrêmement élevées, pouvant aller jusqu’à 6 ans de prison, en cas de faute médicale. L’altercation s’enlise du fait qu’aucun des deux camps n’est susceptible de faire des concessions. Si, de leur côté, les médecins réclament une annulation pure et simple des articles, le président reste inflexible et a fait appel à des médecins cubains, dans le cadre de l’ALBA (Alliance Bolivarienne), afin de briser la grève.
La société bolivienne, l’une des plus inégalitaires au monde, est de plus en plus divisée comme l’ont révélé les oppositions autour du passage du Dakar. Les différentes révisions constitutionnelles depuis l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales n’ont fait qu’accentuer les fractures géographiques et ethniques de ce pays. En effet, il n’y pas de « solidarité nationale » dans cet Etat où les populations originelles des hauts plateaux andins s’opposent aux populations européennes et métissées de Santa Cruz. Les habitants de l’Andrés Ibáñez se considèrent comme lésés par la redistribution des richesses et se confrontent de manière véhémente au gouvernement fédéral. Et les velléités sécessionnistes des cambas (surnom donné au habitants de Santa Cruz) s’accentuent face à « l’exercice solitaire du pouvoir » du président. Les dérives autoritaires de ce dernier, tout comme la persistance de divisions sociales profondes, seront au centre des débats des prochaines élections présidentielles d’octobre 2019. Elles pourraient s’avérer cruciales pour le devenir de la Bolivie.