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Gauches sud-américaines : érosion conjoncturelle ou déclin durable ?

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Depuis un an, alors qu’elle occupait la tête de presque la totalité des exécutifs d’Amérique du Sud, la gauche a perdu toutes les élections. Faut-il y voir une simple érosion liée à l’exercice du pouvoir ou un phénomène plus profond ?

Manifestation étudiante au Chili - 2015
Manifestation étudiante au Chili – 2015

En novembre 2015, l’élection du libéral Mauricio Macri à la présidence de l’Argentine a constitué une double-rupture. La première avec le péronisme des deux époux Kirchner, mouvement qui s’est essoufflé après douze années passées à la tête du pays. L’autre rupture, difficilement perceptible à l’époque, a à avoir avec le début d’un recul des gouvernement de gauche ou progressistes qui étaient en poste dans presque tous les pays du continent sud-américain. Par la suite, c’est l’opposition au pouvoir qui remporta les législatives à la fin de l’année au Venezuela, avant que les premiers mois de l’année 2016 ne confirment cette tendance. Ainsi, en Bolivie, Evo Morales fit face à un échec référendaire visant à modifier la Constitution afin de lui permettre de briguer un nouveau mandat tandis que la présidente brésilienne Dilma Rousseff, affaiblie par la crise économique et les scandales de corruption, a fini par être écartée du pouvoir en mai. Au Pérou, les élections générales ont vu l’élimination de la candidate de la gauche dès le premier tour et l’élection du libéral Pedro Pablo Kuczynski. Enfin, au Chili, les manifestations étudiantes pour l’instruction publique gratuite ont repris, sur fond d’impopularité record pour Michelle Bachelet. Comment expliquer la fin de cette quasi-hégémonie de la gauche – ou plutôt des gauches – qui semble se dessiner ? On peut distinguer schématiquement deux gauches qui se partagent le pouvoir dans la plupart des États sud-américains : une gauche radicale (Venezuela, Bolivie) et une gauche réformiste (Chili, Brésil).

Si le mouvement de fond de recul des gauches sud-américaines tend à se globaliser, il tient pourtant à plusieurs facteurs explicatifs pour chacun des pays, en particulier pour la gauche dite réformiste. Le premier des facteurs pouvant expliquer ce reflux est l’érosion du pouvoir, expliquant en grande partie l’alternance en Argentine. Autre facteur, celui de la corruption, affaiblissant le pouvoir en place auprès de l’opinion publique, expliquant en grande partie la crise politique que traverse le Brésil avec le scandale Petrobras. De plus, la déception liée à un espoir de changement promis avec l’arrivée de la gauche au pouvoir contribue également à affaiblir les exécutifs progressistes, comme l’a illustrée l’élection au Pérou. Il faut également souligner le rôle joué par les difficultés économiques que traverse le continent, en particulier en raison du ralentissement du marché asiatique. Bien souvent, c’est la conjonction de plusieurs de ces facteurs qui opère : au Chili, le rejet de l’exécutif tient à la fois à son incapacité à mettre en place la gratuité scolaire, qu’au ralentissement économique et au cas de corruption impliquant le fils de la présidente (le caso Caval).

Concernant la gauche radicale, ses difficultés actuelles peuvent être principalement expliquées par sa nécessité d’incarnation par une personnalité charismatique. Au Venezuela, la mort d’Hugo Chávez a montré à quel point le régime tenait à la personnalité de son leader, et dont le remplaçant – Nicolás Maduro – doit faire face à une grave crise d’hyperinflation liée à la chute des cours pétroliers. En Bolivie, l’échec lors du référendum a illustré la nécessité pour Evo Morales de se trouver un successeur : les boliviens, plutôt satisfaits de leur président comme en attestent ses faciles réélections, ne souhaitèrent pas que le pouvoir présidentiel puisse être monopolisé pendant quatre mandats consécutifs. La chute des cours des matières premières a également affecté la capacité redistributive de ces régimes.

Les élections de l’année prochaine (élections présidentielles et législatives en Équateur et au Chili, législatives en Argentine) permettront donc de déterminer si les difficultés des régimes de gauche en Amérique du Sud persistent, et si elles tiennent seulement aux difficultés liées à la conjoncture économique et politique récente ou davantage à la recherche d’un autre modèle social.

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Lucas MAUBERT

Doctorant en Histoire à l'Université de Tarapacá (Chili). Diplômé de l'IEP de Rennes et de l'Université Rennes 2. Rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis 2016.

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