Les rebelles d’Idlib, utiles à Ankara ?
Alors que des accords entre parrains régionaux avaient permis l’arrêt des hostilités, les affrontements ont repris dans la province d’Idlib en Syrie. Les violences opposent membres des forces rebelles et troupes du régime syrien alliées aux milices chiites et aux forces russes depuis fin avril. Pour quelle raison la région est-elle sujette à des conflits ? Quel est le rôle d’Ankara dans ce dossier ?
Qui sont les rebelles ?
Le mot « rebelle » regroupe une myriade de groupes de combattants qui se sont soulevés contre le régime de Bachar el-Assad à partir du début de la contestation en 2011. Ceux-ci se sont regroupés majoritairement au sein de l’Armée Syrienne Libre (ASL) ou alors ont rejoint le front Al-Nosra, filiale d’Al-Qaïda en Syrie. Il est cependant important de ne pas confondre Armée Syrienne Libre et Forces Démocratiques Syriennes (FDS). Alors que les rebelles de l’ASL ont pour objectif un changement de régime en Syrie, il n’en est pas forcément de même pour les FDS. Celles-ci regroupent les Kurdes du Kurdistan syrien ainsi que différents groupes arabes musulmans ou chrétiens assyriaques. Leur coalition a pour objectif premier de combattre l’organisation État Islamique au nord et nord-est du pays.
Les rebelles ont donc une portée nationale qui n’est pas forcément ambitionnée par les Forces Démocratiques Syriennes. Cela n’empêche en revanche pas les combattants de l’ASL ou les « rebelles » djihadistes de s’opposer militairement à Daesh.
Qui est présent au sein de la province d’Idlib ?
Actuellement, deux groupes majoritaires sont présents. Il y a d’abord une coalition salafiste djihadiste regroupant différents groupes mais majoritairement composée d’anciens combattants du Front Al-Nosra. Depuis 2017, une rupture avec Al-Qaïda a été décidée. Le but est de donner une image moins extrémiste de la coalition afin d’essayer de fédérer des rebelles autour de djihadistes nationalistes. Cette entente porte le nom d’Hayat Tarir al Sham. L’ancien émir du Front Al-Nosra, Al-Joulani, la dirige. Tarir al Sham contrôle actuellement environ 60% de la province.
Le second groupe se compose de rebelles de l’Armée Syrienne Libre rassemblés autour de financements turcs, à tendance islamiste. Ses membres sont d’anciens militaires de l’armée syrienne, des nationalistes pro-turcs, ou des islamistes liés à l’idéologie des Frères Musulmans. Exsangues après des années de conflits, ils se sont regroupés autour du financement et du soutien d’Ankara. Ils sont membres d’une organisation : le Front de Libération Nationale (FLN).
Il y a également une présence de groupes rebelles, qu’ils soient djihadistes ou autre, non-membres de ces deux brigades de combat. C’est le cas de Jaysh al-Izza, groupe rebelle lié à l’Armée Syrienne Libre ou encore du front du Parti Islamique du Turkestan, groupe lié à Al-Qaïda.
Pourquoi la Turquie appelle-t-elle à l’arrêt des combats ?
Ankara a de multiples intérêts à ne pas voir cette province prise par les forces syriennes. Tout d’abord, la Turquie accueille environ 3,5 millions de réfugiés syriens et ne souhaite pas un nouvel afflux limitrophe de ses frontières. La province d’Idlib est en effet peuplée de 3 millions de personnes et les victimes civiles des combats sont nombreuses. Une deuxième raison est qu’en devenant incontournable sur le dossier, Ankara espère démontrer sa stature de puissance régionale. Le pays a ainsi un véritable atout géopolitique et peut donc prendre une place de choix dans le concert des nations. De plus, cette poche permet de stopper une avancée vers l’Ouest de l’influence des FDS. Le président Erdogan peut ainsi espérer stopper un élargissement du territoire pro-Kurde à ses frontières. Et si Bachar el-Assad souhaite une coopération de son homologue turc, il devra sans doute apporter des garanties sur l’autonomie kurde en Syrie.
Des accords semblaient geler la situation avant la reprise des combats
Deux sommets avaient en effet permis de stopper les combats. Le premier, celui d’Astana en 2017, permettait de créer des zones de désescalades de la violence sur le territoire syrien. Cela concerne la province d’Idlib. L’objectif était donc de créer des zones tampons occupées par les rebelles et coupées du reste du territoire par des postes de surveillance des trois parrains régionaux.
Le second, celui de Sotchi, était un accord entre Turcs et Russes. Il permettait la création d’une zone démilitarisée pour les patrouilles russes ou turques le long de la zone de conflit. La Turquie se portait garante du désarmement des rebelles et était également en charge de réduire au silence la coalition HTS. L’augmentation de l’influence du groupe salafiste djihadiste et l’assaut conjoint HTS et FLN contre des positions du régime laissent penser que la Turquie manque de contrôle sur les milices.
Cette position politique fragilisée d’Ankara semble être en définitive une mauvaise nouvelle. Les combats ont repris et HTS est capable de guider les assauts rebelles. Pire, les forces d’Al-Joulani ont repris du terrain. La situation semble de nouveau bloquée et Bachar el-Assad ne peut prendre le risque d’engager trop ses troupes au risque de pertes trop importantes. De plus la région n’est pas stratégique d’un point de vue économique. Les champs de pétrole du Nord-Est syrien sont en effet beaucoup plus précieux. Ce dilemme forcera sans doute Damas et ses parrains à négocier à l’avantage d’Ankara. Idlib pacifiée ? Seulement aux conditions turques.
Sources :
-« Syrie : rebelles et jihadistes passent à l’offensive à Hama », France 24, 7 juin 2019 (https://www.youtube.com/watch?v=5ipMAiNYp7U)
-« L’instrumentalisation du conflit syrien, une réalité qui perdure », Institut des Relations Internationales et Stratégiques, 7 juin 2019, (https://www.iris-france.org/137937-linstrumentalisation-du-conflit-syrien-une-realite-qui-perdure/)
–Islamic World News (http://www.english.iswnews.com)