États-Unis vs Iran : les conséquences de l’assassinat de Soleimani [2/2]
Au lendemain de l’élimination du puissant général iranien Qassem Soleimani, la communauté internationale s’inquiète d’une dangereuse escalade des tensions entre les États-Unis et l’Iran. Si les conséquences de cet assassinat relèvent pour l’heure de la spéculation, elles seront sans aucun doute profondes et multiples. Téhéran promet une “dure vengeance” à Washington, alors que les premières ripostes ont eu lieu samedi sur le sol irakien. Retour sur les causes et les conséquences de l’embrasement des relations.
L’Iran promet une “dure vengeance”
La mort de Soleimani constitue un revers majeur pour l’Iran dans un contexte de conflit larvé avec les États-Unis. Le raid aérien américain pourrait alors avoir de terribles conséquences pour l’ensemble du Moyen-Orient. Réuni en urgence, fait exceptionnel, en présence de l’ayatollah Khamenei, le Conseil suprême de sécurité nationale a promis une “vengeance” aux États-Unis. « L’Amérique doit savoir que son attaque criminelle contre le général Soleimani a été la plus grave erreur du pays […]. L’Amérique n’évitera pas les conséquences de ce mauvais calcul. Ces criminels subiront une dure vengeance […] au bon endroit et au bon moment. [Washington] sera responsable pour les conséquences liées à chaque aspect de cet agissement criminel”, a-t-il assuré dans un communiqué.
Les craintes d’une escalade sont majeures, alors que l’attaque américaine peut être comparée à une déclaration de guerre. Le Pentagone a affirmé que le raid aérien était une réponse à un danger jugé imminent : les milices pro-iraniennes auraient été sur le point de kidnapper des ressortissants américains en Irak. Cela représente pourtant un changement de paradigme dans la politique américaine, jusqu’alors axée sur les sanctions économiques. Les réactions américaines aux provocations iraniennes avaient jusqu’ici été timorées. Téhéran avait semblé sortir vainqueur de son bras de fer autour du détroit d’Ormuz. En juin 2019, après la destruction d’un drone américain par les forces iraniennes, Trump avait même renoncé au dernier moment à mener une riposte militaire.
Changement de paradigme et logique de guerre
L’assassinat de Soleimani signifie donc un tournant important dans la politique de l’administration Trump. Mais est-ce un changement radical de stratégie ? Ou les États-Unis ont-ils profité d’une occasion en or pour se débarrasser d’un de leurs ennemis ? Trump continue de clamer qu’il ne souhaite pas la guerre. Sa marge de manœuvre politique est en effet extrêmement limitée. Le désengagement américain du Moyen-Orient était l’une des promesses ayant permis son élection. Avec la proximité de la campagne pour les élections présidentielles de novembre 2020, il ne peut se permettre de lancer une nouvelle guerre au Moyen-Orient impliquant des pertes côté américain.
Il doit cependant montrer les muscles. De plus, le raid aérien constitue une distraction bienvenue pour une opinion publique et une presse américaine concentrées sur la procédure de destitution lancée contre le président Trump. Il est enfin en recherche d’un triomphe sur la scène internationale, après son échec sur le dossier du nucléaire nord-coréen. Aujourd’hui, Washington semble bien dans une logique de guerre. L’élimination de Soleimani s’inscrit en réalité dans la continuité de la politique américaine qui avait placé les Gardiens de la révolution et la Force al-Qods sur la liste des organisations terroristes en avril 2019.
Les États-Unis ont d’ores et déjà annoncé l’envoi de 3 500 soldats supplémentaires au Moyen-Orient. Ces soldats, appartenant à la force de réaction rapide de la 82e division aéroportée, étaient en état d’alerte depuis l’attaque de l’ambassade américaine à Bagdad mardi 31 janvier. Washington a également invité les ressortissants américains en Irak à quitter immédiatement le pays.
En Irak, les premières ripostes
Les États-Unis et l’Iran sont pourtant déjà engagés de longue date dans une proxy war (guerre par procuration). Au Moyen-Orient, les deux États s’affrontent sur au moins deux théâtres privilégiés : en Irak et en Syrie. L’embrasement en Irak, où des milliers de personnes ont scandé “mort aux Américains” lors des funérailles de Soleimani, devrait se poursuivre. Le sentiment anti-américain n’a cessé d’être exacerbé ces derniers mois par les partisans pro-Iran. Ceux-ci mènent une vaste campagne pour dénoncer l’accord de coopération entre les États-Unis et l’Irak qui encadre la présence des 5 200 soldats américains sur le sol irakien. Samedi en fin d’après-midi, des tirs roquette ont visé l’ambassade américaine à Bagdad. D’autres, de type Katioucha, ont ciblé la base aérienne de Balad, où stationnent les forces américaines.
Ces premières réponses à la mort de Soleimani laissent à penser que la République islamique pourrait poursuivre sa stratégie de riposte par alliés interposés. Une attaque directe des forces iraniennes envers les États-Unis déclencherait cependant un conflit ouvert, dont l’Iran ne veut pas. Téhéran n’a, à priori, pas les moyens militaires de gagner une guerre directe qui serait un désastre pour l’ensemble de la région. S’ajoutent à cette asymétrie militaire les problèmes internes démocratiques et économiques de l’Iran.
Une guerre par procuration
Paradoxalement, la mort de Soleimani pourrait renforcer le régime iranien. Pour Téhéran aussi, une confrontation avec le “Grand Satan” américain est la bienvenue. Elle permet de détourner l’attention de la révolte populaire anti-iranienne qui secoue l’Irak depuis trois mois. Le régime souhaite également faire oublier la violence répression des manifestations de novembre 2019 en Iran. Selon Amnesty International, au moins 300 personnes ont perdu la vie. Pour l’heure, le régime iranien fait bloc. L’élimination de Soleimani a uni toutes les factions, les divergences sont mises en sourdine. Chaque contestataire sera désormais assimilé aux États-Unis. L’ensemble des chiites va resserrer les rangs autour de l’Iran. Ainsi, l’ayatollah irakien al-Sistani a apporté son soutien aux milices chiites irakiennes, qu’il critiquait jusqu’alors.
Mener une riposte par l’intermédiaire de ses alliés semble alors la meilleure option pour Téhéran. Toutes les milices paramilitaires alignées sur la République islamique ont repris le cri du cœur de Téhéran : “Vengeance !”. Les milices chiites irakiennes et le Hezbollah libanais ne sont pas les seuls à s’être déclarés prêts à répondre à l’appel de Téhéran. Les groupes pro-Iran font front, malgré leurs différences. Le Hamas et le groupe Jihad islamique palestinien ont rejoint le mouvement, suscitant l’inquiétude d’Israël. L’Armée du Mahdi a même été réactivée par Moqtada Sadr.
Ces groupes pourraient viser non pas le territoire américain, mais des cibles symboliques des États-Unis. A l’image de ce qu’il se passe en Irak, l’on pourrait imaginer des attaques envers les ambassades et les troupes américaines stationnées dans la région. Une déclaration du général Gholamali Abuhamzeh, un commandant des Gardiens de la révolution, rapportée par Reuters, semble aller dans ce sens. “Quelques 35 cibles américaines dans la région, ainsi que Tel Aviv sont à notre portée”, a-t-il averti.
Le coup de grâce du JCPOA
Hormis l’Irak, l’affrontement américano-iranien pourrait également se jouer dans le détroit d’Ormuz. Porte d’entrée du Golfe Persique entre l’Iran et Oman, il est un passage stratégique sous haute tension. Il constitue une voie commerciale essentielle du trafic international. Plus du tiers du commerce mondial de pétrole et 18% des exportations de gaz naturel y transitent. C’est aussi l’une des régions les plus militarisées au monde. Ainsi, l’Iran pourrait décider de bloquer ce détroit ou d’influer sur sa sécurité. Les cours du pétrole ont d’ailleurs bondi de plus de 4% vendredi après l’annonce de la mort de Soleimani.
L’assassinat de Soleimani aura surtout fait une autre victime collatérale. En menant ce raid aérien, les États-Unis ont certainement donné le coup de grâce à l’accord sur le nucléaire iranien. Si Trump l’avait dénoncé en 2018, les Européens, la Chine et la Russie espéraient encore pouvoir préserver le JCPOA. Leurs efforts pour sauver l’accord multilatéral semblent désormais voués à l’échec, même si les chancelleries européennes ont appelé au dialogue. Paris et Berlin, accompagnées de Pékin, ont ainsi enjoint l’Iran à ne pas violer de nouveau l’accord. La République islamique avait en effet annoncé pour début janvier une étape supplémentaire dans son retrait progressif de l’accord. Attendue lundi, elle concernera probablement la réactivation des installations nucléaires interdites par l’accord.
Il paraît aujourd’hui impossible que les négociateurs iraniens puissent préserver la voie diplomatique imposée aux durs du régime. Ceux-ci voient en effet l’arme nucléaire comme une chance de survie. La mort de Soleimani semble avoir définitivement torpillé le JCPOA. De quoi raviver le spectre d’une prolifération nucléaire au Moyen-Orient, et avec elle, un risque accru d’erreurs d’appréciation.
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