Pétrole : à quoi joue l’Arabie Saoudite ?
Pour la première fois depuis fin 2012, les cours du baril de pétrole atteignent des niveaux historiquement bas avec un cours du Brent passant sous la barre des 90 dollars US à -19% depuis le 1er janvier. Le contexte paraît bien trouble pour Riyad qui, après avoir investi 130 milliards USD suite aux « printemps arabes » pour assurer la paix sociale, est tributaire d’un prix du baril aux alentours de 90 dollars US pour équilibrer son budget. Or, en fin de semaine, l’Arabie Saoudite a annoncée, suite à une réunion de l’OPEP, augmenter sa production de 100.000 bpj. À quoi joue Riyad ?
Le pétrole de schiste américain
La production américaine de pétrole a augmenté de 13,5% de fin 2012 à fin 2013. Près de 8,875 millions bpj furent produits aux Etats-Unis durant la première semaine d’octobre. Alors que la production n’atteignait qu’environ 5 millions bpj en 2005. Depuis août, des entreprises américaines ont le droit d’exporter des condensats ; pas de brut dont les exportations sont interdites depuis les chocs pétroliers des années 70. Les lobbies pétroliers américains font pression sur le gouvernement fédéral pour permettre l’exportation de brut qui devrait engendrer une nouvelle baisse du prix du baril par l’arrivée sur le marché d’un nouvel excédent de production.
Une baisse de la demande mondiale
En effet, il est bien question « d’excédents » sur les marchés pétroliers actuellement ce qui contredit d’ailleurs les théories du peak oil. Ils sont estimés à environ 1 million bpj. Alors que les prévisionnistes prévoyaient une hausse de la croissance, et donc de la demande pétrolière mondiale, le FMI a réévalué à la baisse ses prévisions pour 2015. La Chine, les pays d’Europe avec en particulier l’Allemagne, la France et d’autres États, devraient enregistrer une baisse de la croissance de leur PIB. Seuls les États-Unis, poussés par les hydrocarbures de schiste conduiraient en majeure partie la hausse de la croissance mondiale.
Des crises géopolitiques qui n’ont pas d’effets sur les prix
Malgré le maintien de la menace que pose l’EIIL, le sud de l’Irak abritant la plupart des unités de production et d’importation reste à l’abri des combats et permet un maintien de la production pétrolière du pays. En Libye, alors que la prise des terminaux d’exportation par des rebelles avait fait chuter la production aux environs de 200.000 bpj, un récent accord permet aujourd’hui une hausse de la production à plus de 900.000 bpj. Ceci contribue également à développer des excédents sur les marchés pétroliers et à faire baisser les cours. De plus, le retour possible de l’Iran sur la scène pétrolière mondiale, dans le cas d’une levée des sanctions sur son secteur pétrolier, pourrait accroitre la tendance baissière. Il faut noter que depuis le printemps, les importations chinoises de pétrole iranien atteignent des records.
Vers une guerre des quotas ?
Ainsi, dans un pareil contexte, comment expliquer que l’Arabie Saoudite, joue sur une tendance baissière en accroissant sa production de 100.000 bpj ? Les revenus liés au commerce d’hydrocarbures comptent pour 54% du PIB du royaume qui a récemment vu ses dépenses publiques et sociales croitre massivement. Si l’Arabie Saoudite augmente sa production c’est pour s’impliquer dans la guerre des quotas qui se profile au sein de l’OPEP avec le retour sur le marché de la Libye, de l’Irak et probablement de l’Iran. En effet, le royaume avait profité de l’absence relative de ses acteurs sur le marché pour accroitre sa production en jouant son rôle de swing producer. Inutile de rappeler que la monarchie sunnite voit d’un (très) mauvais œil le possible retour de l’Iran et que l’allocation de quota au sein de l’OPEP sera au centre de tensions. De plus, pour Riyad, baisser sa production, ou ne pas l’augmenter, reviendrait à laisser de la place à la production américaine. L’Arabie Saoudite essaye donc de maintenir ses parts de marché avant tout : un calcul risqué à moyen terme pour le pays qui connaît toujours une contestation interne latente.
À l’échelle française, cette baisse est positive pour les consommateurs qui voient les prix à la pompe baisser mais également les prix du gaz qui vont très probablement baisser en France puisqu’une partie des tarifs des contrats longs termes est indexée sur les prix des produits pétroliers. À l’inverse, les entreprises du secteur pétro-gazier font les frais de cette chute des cours : l’action Total a perdu près de 11% en un mois, celle de Technip environ 10% sur la même période et celle de l’américaine Chevron plus de 8%. Mais à plus grande échelle, cette forte baisse des prix pétroliers poussée par une demande en berne ne serait elle pas le signe d’une récession à venir en Europe ? Une autre question se profile dans un contexte de répartition des quotas OPEP et de baisse des cours du baril : quelles pourraient être, à long terme, les conséquences de la baisse des revenus pétroliers de l’Arabie Saoudite sur l’équilibre régional au Moyen-Orient ?