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Le Califat : Introduction historique et symbolique à l’heure de DAESH

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Le 29 juin 2014, un homme appelé Abu Bakr al-Baghdadi prononce un discours dans la grande mosquée de Mossoul. Il proclame la naissance d’un État islamique (Al-Dawla al-islamiyya) et se proclame calife. Dès lors, les forces de Daesh (acronyme de al-Dawla al-islâmiyya fî al-‘Irâq wa al-Shâm) vont s’étendre pour déstabiliser deux grands États de la région : la Syrie et l’Irak.

Le « Calife » Abu Bakr al-Baghdadi al-Qurashi

Ce 29 juin 2014 a marqué pour de nombreux musulmans wahhabites un jour d’espoir, celui de la renaissance du Califat, de la réunification de l’Oumma (communauté de croyants) et du retour de l’âge d’or de l’Islam. Cependant, pour comprendre Daesh et l’état d’esprit dans lequel se pose le Califat, il faut remonter presque 1300 ans en arrière, à l’époque des quatre premiers califes dits « rachiduns » ou « bien guidés » et des premiers califes Omeyyades.

L’origine du Califat

Le Calife (khalîfa) désigne littéralement le représentant. Ce terme, au singulier, n’apparaît que 2 fois dans le Coran. D’abord à propos d’Adam, puis à propos de David. Ces deux figures de l’Ancien Testament sont ainsi les représentants de Dieu sur Terre, le premier en tant que père de l’humanité et le deuxième en tant que figure du Roi modèle pieux, juste et guerrier (que ce soit chez les Juifs, les Chrétiens ou les Musulmans). Au pluriel (khalâ’if, khulafâ’), le terme apparaît 7 fois et désigne les peuples élus par Dieu pour être Ses représentants sur la Terre. Ainsi, littéralement, ce terme se rattache directement à Dieu en faisant des porteurs de ce titre les lieutenants de Dieu sur Terre.

Le premier Calife n’est pas Mahomet mais Abu Bakr (Calife de 632 à 634), premier fidèle du Prophète et père de l’épouse favorite de celui-ci. Il prend le titre de Calife comme celui de « Successeur » à la mort du prophète. La charge califale est initialement élective. Il convient cependant de ne pas y voir une sorte de charge démocratique comme dans nos sociétés occidentales modernes. Le Calife est élu par un collège de nobles et de hauts dignitaires qui ne votent non pas pour représenter la volonté du peuple, mais qui votent en âme et conscience, selon leur conviction personnelle.

Ainsi, Al-Mawardi précise, dans son ouvrage Les statuts gouvernementaux, que « le califat étant fixé sur la tête de celui qui doit son investissement soit à la désignation, soit à l’élection, toute la nation doit connaître que le califat est dévolu à quelqu’un que ses qualités rendent digne, tandis que sa connaissance personnelle et nominative n’est de rigueur que pour les électeurs à qui il doit son titre et dont le serment de fidélité l’a définitivement constitué calife (…) ». Ce serment de fidélité tient une place importante dans la « tradition califale ». Il convenait pour les Omeyyades et les Abbassides (deux dynasties arrivées au Califat après une guerre civile) de s’attacher les services et la loyauté de l’ensemble de l’Oumma (communauté des croyants).

Ainsi, sont mises en circulation des traditions attribuées au Prophète, largement réutilisées par la propagande « Daeshienne » et qui stipulent que: « qui meurt sans avoir prêté serment d’allégeance (à un calife) meurt de la mort des païens ». La procédure du serment est la bay’a. Daesh a largement repris cette tradition en demandant à l’ensemble des musulmans et plus particulièrement aux grands dignitaires terroristes de prêter serment au nouveau Calife. Ainsi, on a vu des serments d’allégeances se multiplier au sein de déçus d’Al-Qaïda ou encore d’extrémistes des Philippines, de Tchétchénie, du Maghreb, d’Asie Centrale ou encore d’Europe et d’Amérique.

De la légitimité du Pouvoir Califal en 2017

Le Calife se pose dès sa création comme le chef de l’Oumma, la communauté des croyants. Le calife est, à la naissance de l’institution, le chef dans tous les domaines : religieux (et donc dans le domaine de la justice et de la loi) et militaire. C’est un statut qui révolutionne le mode de fonctionnement politique des arabes du VIIeme siècle : le Calife décompose le système tribal qui était en vigueur depuis des siècles en se plaçant au-dessus des chefs de clans traditionnels. Cependant, la charge va garder une connotation tribale durant les premiers siècles de l’Islam et que l’on retrouve toujours aujourd’hui. Le Califat est d’abord l’apanage des Quraychites, grande famille dans laquelle sera choisi les Califes.

Les Quraychites, famille extrêmement importante pour le pouvoir califal, est la famille de Mahomet et des premiers Califes. Ils sont descendants d’Ismaël, fils d’Abraham. Un hadith (communication orale du Prophète) du Salim Muslim prévient que « Le Messager de Dieu disait : Le califat restera parmi les Quraych même s’il ne reste que deux personnes sur terre. ». Le « Calife » de Daesh se nomme Abu Bakr Al-Baghdadi al-Husseini al-Qurashi : avec son dernier nom, il se pose comme légitime héritier du titre califal, se rattachant à une ascendance vétérotestamentaire ainsi qu’au Prophète lui-même. De plus, en prenant le nom du 1er Calife, Abu Bakr, il veut placer son règne comme l’initiateur d’un nouvel âge d’or de l’Islam, voulant reproduire les conquêtes des VIIème et VIIIème siècles.

En effet, là est la particularité de Daesh: alors que Al-Qaïda avait vocation à résister à l’impérialisme américain en terre musulmane, Daesh veut attaquer et conquérir à grande échelle sur un modèle quasi-similaire aux Omeyyades. Rome ou Constantinople sont d’autant de « villes exemples » à l’importance historique et symbolique plus que stratégique qui sont l’objectif affiché de Daesh. Rome a une double connotation symbolique, elle est d’abord le siège du christianisme occidental et donc des « croisés » mais a aussi été la capitale des « romains » autre nom utilisé par Daesh pour cibler les occidentaux. Ainsi annoncent-ils en couverture de revues de propagandes que « Les djihadistes ne pourront se reposer que sous les oliviers de Rumiyah (Rome) ». Le hadith qui clôt la même revue précise : « Le messager d’Allah fut interrogé en ces termes, laquelle de ces deux villes sera conquise la première, Constantinople ou Rumiyah ? « . Il répondit « La ville d’Héraclius sera conquise la première », visant ainsi Constantinople, Héraclius étant un empereur romain d’orient.

C’est en reprenant ce discours conquérant que l’idéologie daeshienne a trouvé un large écho dans le monde de l’extrémisme sunnite. Il est important pour comprendre l’EI, son discours et son « succès » de ne pas le voir comme une simple organisation. Il est surprenant de voir, en analysant sa propagande papier ou vidéo, que Daesh se pose dans la continuité historique et idéologique des premiers siècles de l’Islam appelant notamment à « récupérer nos terres aux envahisseurs » en parlant de l’Espagne et du Portugal, terres pourtant perdues depuis 1492 !

La première étape affichée est l’unification de l’ensemble des pays musulmans. L’Oumma « communauté ; nation » doit être unie sous le drapeau du Calife, d’où la politique antinationaliste de Daesh. Est-il concevable qu’un musulman défende un pays qui a été créé par « un découpage occidental arbitraire » ? Les nations arabes et musulmanes modernes n’ont aucune légitimité pour Daesh et devraient s’unir autour de l’étendard du Calife, seul personne légitime devant Dieu à diriger les musulmans. Il découle de cette pensée les fameuses destructions des frontières que Daesh a filmé et diffusé dans l’ensemble du monde musulman.

Ainsi, ce sont des hommes cultivés et nostalgiques de l’âge d’or de l’islam qui ont su reprendre en main l’institution califale et toute sa symbolique pour amener un nombre inédit de combattants étrangers à rejoindre les rangs de Daesh en jouant une « partition » bien différente des autres groupes radicaux. Quel est le futur du Califat à l’heure ou Daesh semble perdre sa guerre ? Les prochaines années nous renseigneront sur la vivacité du rêve califal au sein de certaines branches de l’Islam et sur l’impact qu’il a sur les croyants.

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