Le sport comme moyen de reconnaissance internationale : le cas du Qatar (1/2)
« Il est plus important d’être reconnu au Comité International Olympique qu’à l’Organisation des Nations Unies ».
Avec cette formule, l’ancien émir du Qatar Hamad ben Khalifa Al Thani met bien en avant le poids géopolitique que peut avoir le sport. En effet, grâce à des compétitions qui rassemblent la planète entière, le sport permet d’acquérir une notoriété internationale ou de véhiculer une image positive de son pays. Le Qatar est un cas exemplaire d’instrumentalisation du sport à des fins diplomatiques et géopolitiques. En effet, ce petit État gazier du Golfe de la taille de l’Île-de-France a beaucoup investi dans les économies européennes ces vingt dernières années, aussi bien dans les grandes entreprises du CAC 40 comme LVMH, Vinci, Total qu’en rachetant l’ensemble du quartier d’affaire de Canary Wharf à Londres (1). Néanmoins, ce sont les opérations menées par le Qatar Investment Authority dans le milieu sportif qui ont fait connaître le pays dans le monde entier.
Quelles sont les raisons d’une telle diplomatie sportive ?
Indépendant en 1971, le petit émirat qatari s’est trouvé isolé et menacé par ses puissants voisins comme l’Égypte, l’Iran ou l’Arabie saoudite. Pour éviter d’être envahi comme le Koweït en 1990, le Qatar a jugé indispensable d’être un acteur mondial de premier plan, pour assurer sa sécurité et sa pérennité. Cette stratégie semble porter ses fruits. En effet, malgré l’isolement politique et économique de l’émirat prôné par l’Arabie saoudite au cours de l’été 2017, nombre d’États comme la France souhaitent un règlement diplomatique de la situation, qui préserverait les intérêts du Qatar et les leurs. Même si la politique sportive du pays ne résoudra pas la crise, elle rend a minima visible les arguments de celui-ci auprès des opinions internationales.
De plus, le sport est le moyen de diversification économique que le Qatar a choisi pour préparer l’après-hydrocarbure. Cette visibilité mondiale, que la Coupe du monde 2022 devrait parachever, doit permettre d’attirer touristes et investissements financiers sur le territoire qatari.
Comment cette politique sportive s’est-elle mise en place ?
Cette stratégie diplomatique est ancienne (le Qatar est membre de la FIFA depuis 1972, soit un an après son indépendance), et s’articule en plusieurs étapes précises.
Tout d’abord, l’émirat a souhaité organiser ou sponsoriser des évènements sportifs d’envergure internationale. Le hippisme est particulièrement révélateur. Le pays est devenu une puissance hippique mondiale en créant le Racing and Equestrian Club en 1975, où s’affrontent les plus grands pur-sang rachetés par l’émirat (il est propriétaire de plusieurs haras français comme les Cruchettes ou le Grand Courgeon). Il accueille en 2016 et 2017 le Longiness Global Champions Tour, une des courses d’obstacles les plus réputées au monde, et sponsorise de grands évènements annuels comme le Prix de l’Arc de Triomphe en France, rebaptisé Qatar Prix de l’Arc de Triomphe. Le Qatar s’implique également dans la natation, le handball, le cyclisme ou le tennis. Cependant, c’est son activisme dans le milieu footballistique qui l’a révélé aux yeux du monde entier : le Paris Saint-Germain racheté en 2011 par le QIA est devenu une des plus belles marques du football mondial, valorisé à 1 milliard d’euros cette année, soit 18% de plus qu’en 2016.
Pour être reconnu et estimé par les autres nations sportives, il faut organiser ces évènements mais aussi les gagner. Le Qatar a alors recours à des vastes campagnes de naturalisation pour pallier au manque de sportifs sur son territoire de 300 000 habitants. L’équipe nationale de handball, finaliste à domicile en 2015 contre la France était par exemple composée de 5 Qataris pour 12 naturalisés, dont le Français Bertrand Roiné, ancien champion du monde avec l’équipe de France en 2011.
Enfin, le Qatar diffuse ses compétitions à l’aide d’une communication bien établie. beIN SPORTS, la branche sportive de la chaîne d’information Al Jazeera, est devenue un acteur incontournable de la retransmission et des achats de droits d’évènements sportifs internationaux, l’autorisant à influer sur les plus grands organisateurs sportifs mondiaux.
Cette instrumentalisation du sport rencontre néanmoins certains obstacles
Tout État utilise le sport comme atout socio-politique, mais cette stratégie est mal vue par l’opinion internationale quand elle est trop visible. C’est la principale menace concernant la stratégie sportive du Qatar. Le pays renvoie aujourd’hui l’image d’un géant financier dénaturant les fondements du sport. L’hégémonie du PSG en Ligue 1 par exemple a longtemps lassé les supporters français. De plus, les scandales de corruption de la FIFA autour de l’organisation de la Coupe du monde 2022 ternissent son image. Le « Qatar bashing » est alors un risque pour sa position dans la diplomatie mondiale. De manière plus générale, l’activisme sportif est plus qu’insuffisant pour être une puissance géopolitique mondiale. En effet, le soft power ne pèse que très peu dans un rapport de force géopolitique, comme en témoigne les difficultés que le pays rencontre pour régler la crise politique avec ses voisins du Golfe.
(1) Le Qatar achète un quartier d’affaires à Londres, Courrier International, 30 janvier 2015.