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La politique japonaise du Womenomics : pour une promotion des femmes sur le marché du travail ?

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En 2003, pour la toute première fois, le gouvernement japonais de Jun’ichirō Koizumi évoque un objectif de 30% de femmes à des postes à responsabilité dans les grandes entreprises. En 2020, ce taux est estimé à 14,8%. Le gouvernement japonais reporte ainsi l’objectif de 30% à 2030. Pourtant, cet objectif a notamment été porté par la politique japonaise du Womenomics de Shinzō Abe. Dès 2013, cette politique vise à promouvoir les femmes dans le marché du travail…. Une politique qui a donc échoué ?

L’origine de la politique Womenomics. La thèse de Kathy Matsui et la nécessité d’une diversité des genres dans le monde du travail

Kathy Matsui, théoricienne de la politique japonaise du « Womenomics ».

Kathy Matsui, l’une des femmes entrepreneuses les plus fructueuses des milieux d’affaires japonais, est à l’origine de la politique Womenomics. Avant de devenir une politique officielle et intentionnalisée, Womenomics constitue d’abord une théorie pensée par Matsui. Ancienne vice-présidente et stratège en chef de la banque américaine Goldman Sachs au Japon, Matsui a longtemps été la porte-parole d’une diversité nécessaire dans les entreprises. Dès 1999, alors encore au service de Goldman Sachs, Matsui publie ses premières études sur l’économie japonaise et la nécessité d’une participation accrue des femmes au sein du marché du travail pour les bienfaits de celui-ci. Ces études ont vu la naissance du concept de « Womenomics », un mot-valise de « Women » et de « Economics ».

Dans cette perspective, la théorie de Matsui considère l’émancipation économique des femmes et la promotion de l’égalité des sexes comme une initiative économique. Elle reconnaît le potentiel inexploité des Japonaises sur le marché du travail. Ainsi, elle considère la possibilité d’augmenter la participation économique et de remédier aux pénuries de main-d’œuvre par la promotion des femmes dans le marché du travail. Les avantages économiques recherchés, comme l’augmentation du PIB et la stimulation de la consommation, font de cette initiative un outil attractif pour un Japon confronté, dans les années 2010, à des défis économiques importants.

Le Womenomics, pour relancer l’économie japonaise en récession

Quatorze ans plus tard, en 2013, cette théorie est reprise dans le programme économique « Abenomics ». Lancé par le premier ministre de l’époque, Shinzō Abe, les « Abenomics » s’effectuent dans un contexte particulier. En 2012, le Japon reconnaît officiellement son entrée en récession. Le produit intérieur brut (PIB) est marqué par une baisse potentielle de 3,5% en rythme annuel. La même année, toujours victime des retombées de l’accident nucléaire de Fukushima, le Japon enregistre un déficit commercial de 6.927,3 milliards de yens, soit 58 milliards d’euros. Pour l’époque, il s’agit du déficit commercial le plus important de l’histoire japonaise. Marqué par ce contexte économique difficile, le programme « Abenomics » institutionnalise ainsi plusieurs plans et réformes, dont le « Womenomics ».

La politique japonaise du Womenomics prend activement en compte la « courbe M ». Au Japon, le taux d’activité des Japonaises se caractérise par cette courbe. Les Japonaises rentrent au sein du monde professionnel progressivement avec l’âge. Cependant, leur taux d’activité diminue lorsqu’elles se marient ou/et lorsqu’elles ont un enfant. Puis, ce taux finit par augmenter progressivement lorsque les enfants ne sont plus à charge. Autrement dit, la politique japonaise du Womenomics agit comme une stratégie en trois points. Elle compte ainsi :

      • Persuader davantage les Japonaises à rejoindre le marché du travail ;
      • Encourager celles-ci à rester professionnellement actives après la maternité ;
      • Promouvoir l’élévation des femmes dans leur carrière.

L’efficacité du Womenomics : quel bilan ?

Le plan Womenomics a-t-il réussi à augmenter le nombre de femmes dans le marché du travail ? Selon les recherches de Kathy Matsui, en huit ans,  le taux d’emploi des Japonaises est passé de 64 à 71%. En 2020, 71% de Japonaises entre 15 et 64 ans pénètrent dans le marché du travail.  En 1986, ce taux n’était qu’à 53%. Il s’agit d’un véritable bond d’emploi des femmes pour le marché du travail japonais.

Néanmoins, cette politique japonaise s’est heurtée à quelques limites considérables. Si de nombreuses Japonaises ont pu s’affirmer dans le monde professionnel, précisons que le plan a difficilement agi pour la promotion professionnelle des femmes. En réalité, même si plus de Japonaises sont effectivement rentrées dans le monde du travail, 56% d’entre elles travaillent à temps partiel, occupant les postes propres au « précariat » japonais. En 2017, 50 % des 28 millions de femmes sur le marché du travail japonais occupent des emplois « non réguliers ». Ces emplois restent caractérisés par peu d’avantages, comme un salaire inférieur et des heures plus courtes que les employés « réguliers ». En 2019, ce taux monte jusqu’à 56% pour les femmes, contre 22.8% pour les hommes.

Le poids des traditions au sein de la société japonaise et les inégalités persistantes 

De nombreux facteurs viennent perturber l’épanouissement des femmes dans le monde professionnel japonais. Sous une conception de l’égalité très différente du sens occidental, les Japonaises restent associées au rôle d’épouse et de mère. Avec une pénurie de crèches ou un système fiscal japonais qui privilégie la position de mères au foyer, le marché du travail japonais reste plutôt défavorable à l’intégration professionnelle des Japonaises.

Le Japon se caractérise toujours par sa disparité entre les sexes en matière d’emploi. Selon un rapport de l’OCDE de 2017, le Japon possède un taux d’emploi inférieur pour les femmes de 17 points de pourcentage par rapport à celui des hommes. En 2014, malgré les mesures prises par la politique Womenomics, seulement 9 % des employés du secteur privé occupant des postes de direction étaient des femmes. En politique, le gouvernement actuellement en place ne compte que deux femmes sur vingt-un postes ministériels.

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Rose Moreira

Étudiante en Master 2 Relations Internationales et Action à l'étranger à l'université Panthéon-Sorbonne, je me passionne pour les questions relatives au genre en politique. Si mes intérêts portent principalement sur la zone Asie, je reste sensible à toutes les aires géographiques, notamment celle de l'Amérique latine.

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