Le spectre de la guerre civile hante l’Egypte
Alors que la fête de l’Aïd el-Fitr, qui commence aujourd’hui, signe la fin du Ramadan, la soi-disant « clémence » des militaires au pouvoir envers les nombreux soutiens du président déchu, Mohamed Morsi, arrive également à son terme. Le pouvoir égyptien a jugé les médiations internationales un « échec » et rejette entièrement la faute sur les Frères Musulmans. Si la rhétorique semblait jusqu’ici la grande gagnante de ces joutes, tous les éléments sont aujourd’hui réunis pour faire du Caire un cocktail explosif.
Le pouvoir intérimaire égyptien a, une nouvelle fois, demandé aux manifestants de se disperser dans le calme. Cette fois, cependant, ils ont assorti cette demande d’une menace d’intervention militaire pour faire partir les soutiens des Frères Musulmans. Le premier ministre s’est même fendu d’une petite phrase illustrant la gravité de la situation en qualifiant cette décision d’intervention de « sans retour ».
Si les Frères Musulmans prétendent promouvoir des manifestations pacifiques, Twitter se fait en revanche l’écho d’exactions commises par leurs partisans, notamment envers les coptes, qui pourraient largement justifier une intervention armée. Difficile donc de distinguer le vrai du faux et de savoir quelles sont les parts de responsabilité respectives des différents camps dans l’escalade de la violence.
Une chose est certaine, tous les efforts de la diplomatie étrangère ont été vains dans la tentative de médiation entre les deux parties, ce qui fait craindre un divorce assumé mais très dangereux entre le pouvoir en place, soutenu par l’armée régulière et les Frères Musulmans qui disposent d’une assise populaire assez importante, du moins suffisamment pour avoir réussi à faire élire (avec 51,72% des voix au second tour) l’un des leurs lors de l’élection présidentielle de 2012. Les demandes des deux parties en présence semblent diamétralement opposées, ce qui n’augure rien de bon pour une potentielle reprise du dialogue. En outre, un certain effet « boule de neige » est à l’œuvre : plus la situation s’envenime et moins les parties semblent disposées à s’écouter, à chercher un compromis, chacune enfermée dans la certitude que le salut de l’Egypte passe par ses solutions.
Al-Sissi tente-t-il de s’ériger en Atatürk égyptien ?
En somme, chaque jour, ce qu’on appelle la Zone d’Accord Possible en négociation se réduit comme peau de chagrin de jour en jour, si elle a existé ! Dans ce contexte, l’optimisme quant à un dénouement pacifique n’est plus véritablement de mise. Comment l’Egypte pourrait-elle aller de l’avant dans ce climat délétère ? Faut-il que l’armée intervienne à nouveau et prenne des mesures drastiques, au risque d’allumer un feu inextinguible ? On dit que le général à l’origine du coup d’Etat – car il faut appeler un chat un chat – Abdel Fattah Al-Sissi serait un admirateur du général Nasser, président emblématique de l’Egypte à la fin des années 50 et dans les années 60. Ses actes le rapprocheraient plutôt de Mustafa Kemal, premier président turc, en portant l’armée en tant que garante de l’unité nationale même s’il est vrai qu’il s’est rapidement retiré au profit d’un gouvernement intérimaire dominé par des politiques purs comme Mohamed el-Baradei, ancien président de l’AIEA (Agence Internationale de l’Energie Atomique).
Cette comparaison n’est pas nécessairement flatteuse tant la vie politique turque a été tumultueuse, à la fois sous Atatürk et depuis sa mort, en particulier à cause des interventions régulières de l’armée. Reste que la Turquie, malgré toutes les critiques valables qu’on peut lui faire, a bien effectué sa transition démocratique. Si les situations sont certes très différentes mais l’Egypte ne peut se permettre de ne pas prendre exemple ailleurs pour tenter par tous les moyens de désamorcer la bombe à retardement qu’elle a entre les mains.
Ne perdons toutefois pas espoir : la Révolution française n’a accouché d’une démocratie stable que 90 ans après la prise de la Bastille. Cela souligne la difficulté à faire évoluer les mentalités de tout un peuple (et l’Egypte est autrement plus peuplée que la France de l’époque !). Espérons que l’Egypte n’ait pas besoin du même laps de temps pour effectuer cette transition tout en évitant les différents bains de sang ayant caractérisé le XIXème siècle français.