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Yémen et pourparlers de Stockholm : véritables avancées ou simples effets d’annonce ?  

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Après deux années d’intensification d’une guerre qui a débuté en 2015, de nouveaux pourparlers se sont ouverts en Suède, le 6 décembre 2018. C’est la quatrième tentative de négociation depuis la prise de pouvoir des Houthis dans le nord du pays. Sur le papier, ces nouvelles discussions semblent avoir débouché sur des avancées concrètes pour le Yémen, mais en application, les effets positifs risquent déjà d’être compromis.   

Discussions et progrès sous l’égide de l’émissaire onusien Martin Griffiths

Rencontre entre Khaled al-Yaman (gouv.), Antonio Guterres (ONU) et Mohammed Abdul-Salam (Houthis) [Reuters]

C’était la première fois qu’une délégation pro-gouvernementale et une délégation Houthis acceptaient de se réunir pour tenter de négocier une nouvelle sortie de crise. Au centre des principales préoccupations se trouve la ville d’Hodeidah. Cette ville portuaire est en effet une place stratégique aux mains des Houthis depuis le début du conflit. Plus de 70% de l’aide humanitaire est censée y être acheminée malgré un blocus maritime quasi total. L’urgence de la situation n’est plus à rappeler, alors que près de 20 millions de personnes sont en urgence humanitaire et jusqu’à 1 million de personnes menacées de famine.

La situation déjà catastrophique n’a fait qu’empirer, lorsqu’en juin dernier, les forces de la coalition arabe du Conseil de coopération du Golfe (CCG) ont décidé de lancer une opération militaire pour reprendre le contrôle de la ville. Vivement critiquée par l’ensemble de la communauté internationale – et sans le soutien de leurs alliés américains – l’Arabie Saoudite a justifié cette intervention par le fait qu’elle permettrait d’ouvrir un couloir militaire vers Sanaa et à terme, de reprendre le pays. Force est de constater, six mois plus tard, qu’aucunes avancées opérationnelles majeures n’ont été accomplies.

Face à ce nouvel échec tactique et politiquement affaibli par l’affaire Khashoggi, le royaume saoudien ne pouvait qu’accepter de composer sur le terrain diplomatique. Après une semaine de discussions qui se sont achevées le 13 décembre 2018, les parties se sont accordées sur une trêve et un arrêt de combats dans la province d’Hodeidah. Les forces armées se sont aussi engagées à se retirer progressivement de la ville[1], puis de sa périphérie, pour créer une zone démilitarisée. Par ailleurs, les délégations ont accepté une administration partielle du port yéménite par les Nations Unies. Enfin, un plan d’échange de près de 4000 prisonniers devrait aboutir d’ici quelques semaines. En réponse à cet accord, un texte de résolution a été adopté – non sans difficultés –  le 21 décembre 2018 par les 15 membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Ce dernier entérine l’envoi d’observateurs chargés de sécuriser le bon fonctionnement du port d’Hodeidah et de superviser l’évacuation des combattants de la ville. Autre signe positif, les parties se sont à nouveau rencontrées, fin décembre, pour discuter d’un cadre d’application.

Pour beaucoup d’experts, cet accord est quasiment inespéré pour le Yémen. Cependant, on peut douter de la viabilité d’application des mesures sur le long terme.

Instabilité chronique et multiplicité des acteurs 

La reconstruction du pays et le retour d’une relative stabilité est encore un lointain mirage. Au delà des efforts réalisés par les forces pro-gouvernementales et la milice zaïdite, un lourd climat de méfiance continue de peser. En effet, les deux parties s’accusent déjà mutuellement d’avoir violé les accords passés. De plus, c’est sans compter sur le fait que même si loin du centre des préoccupations, d’autres acteurs ont eux aussi leurs propres ambitions et revendications qui ne pourront, à terme, être ignorées.

Parmi eux se trouvent au premier plan, les groupes sécessionnistes et autonomistes du sud Yémen. Jusqu’ici, ils ont toujours été exclus des processus de discussions. Pourtant, la prise en compte de leurs revendications semble indispensable pour une reconstruction crédible de l’Etat yéménite. L’opposition historique entre le nord et le sud du pays est encore bien présente, et même renforcée. L’auto-proclamation du Conseil de Transition du Sud, en mai 2017, par Aidarous Al-Zoubaidi, ancien gouverneur d’Aden, marque l’ampleur de leur détermination.

Au second plan, les organisations terroristes profitent, elles, d’un terreau de plus en plus fertile pour leur expansion. En première ligne se place Al-Qaida dans la Péninsule Arabique (AQPA). Bien qu’affaibli et moins actif depuis plusieurs mois, le groupe a su faire preuve d’une grande résilience depuis les années 2000. Cela lui a permis de s’implanter dans plusieurs provinces (Hadramaout, Shabwah ou encore Abyan), et de faire de son mouvement l’un des plus dangereux au monde. On peut donc s’attendre à ce qu’ils cherchent eux aussi à renforcer leurs positions.

Enfin, bien que soutenu par la coalition, le gouvernement du président Hadi a perdu presque toute sa légitimité auprès de la population. La crainte qu’il trouve plus d’intérêt à maintenir le statut quo actuel, dans l’espoir d’une vaine victoire militaire – alors que les négociations pourraient potentiellement l’affaiblir – est aussi à prendre en compte.

Un accord marqué par la précarité de la situation diplomatique régionale et internationale

L’accord de Stockholm est un nouvel espoir pour le Yémen, mais les tensions régionales et la pression internationale fragilisent les prémices de véritables avancées politiques.

Après quatre années d’un conflit désastreux, la position de l’Arabie Saoudite est durablement remise en cause. Pourtant, leur objectif reste inchangé. Alors qu’il semble désormais difficile d’annihiler totalement la présence Houthis du paysage politique yéménite, il est aussi, à l’inverse, compliqué de croire que le royaume saoudien soit prêt à composer avec eux pour trouver une solution durable et crédible. La milice sera toujours considérée comme un proxy iranien à sa frontière, menaçant directement ses intérêts vitaux.

Les Etats-Unis, alliés indispensables, ont aussi une position de plus en plus instable. Bien qu’ayant considérablement réduit leur soutien tactique sur le terrain, la Maison Blanche a tout de même réaffirmé son soutien au désormais très décrié Mohamed Ben Salman. L’adoption d’une résolution par le Sénat américain, désignant le prince héritier comme responsable de l’assassinat de Jamal Khasshoggi et demandant la fin du soutien militaire à l’Arabie Saoudite, a donc été un véritable désaveu politique pour le président Donald Trump. Même si cela a une portée principalement symbolique, on peut se demander jusqu’à quand la gouvernance Trump sera capable de tenir cette position, et surtout, à quel prix.

Seul le temps permettra de voir ce qui est fait de cet accord. Pour autant, le Yémen reste principalement le pion d’un jeu de puissances, et son avenir est lui toujours aussi incertain, alors que la population, elle, ne peut plus attendre. 

[1]Selon plusieurs observateurs et informations confirmées par l’ONU, les Houthis auraient entamés leur retrait d’Hodeidah.

Sources:

https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/16/au-yemen-de-violents-combats-et-raids-aeriens-malgre-la-treve_5398345_3210.html

https://www.crisisgroup.org/middle-east-north-africa/gulf-and-arabian-peninsula/yemen/after-progress-sweden-yemen-needs-un-security-council-resolution?utm_source=Sign+Up+to+Crisis+Group%27s+Email+Updates&utm_campaign=bf65a83145-EMAIL_CAMPAIGN_2018_10_31_05_18_COPY_01&utm_medium=email&utm_term=0_1dab8c11ea-bf65a83145-359882857

https://www.lemonde.fr/international/article/2018/11/29/affaire-khashoggi-le-senat-inflige-un-desaveu-a-donald-trump_5390104_3210.html

http://www.lefigaro.fr/international/2018/12/14/01003-20181214ARTFIG00279-yemen-une-lueur-d-espoir-pour-sortir-de-la-guerre.php

https://www.france24.com/fr/20181206-yemen-pourparlers-paix-suede-chances-guerre-analyse-houthis-arabie-saoudite

https://www.france24.com/fr/20181204-yemen-pourparlers-suede-negociations-paix-guerre-houthis-coalition

https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/29/yemen-les-rebelles-amorcent-leur-retrait-du-port-strategique-de-hodeida_5403521_3210.html?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Facebook&fbclid=IwAR2SGOQfU7_pFjqEb4K693evS_Jiz7sQUSDL8JZJk-JdbMiHAvwixuyPQHQ#Echobox=1546110858  

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Eva Martinelli

Diplômée d’un Master 2 en Relations internationales spécialité sécurité et défense de l’Université de Grenoble et l’ILERI, Eva s’est spécialisée sur l’étude des problématiques géopolitiques de la Péninsule Arabique, et plus particulièrement sur les enjeux du conflit Yéménite.

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