Accord Chine-Chili : après la Chinafrique, la « Chinamérique » ?
Les accords de coopération économique signés cette semaine entre la Chine et le Chili confirment la politique d’investissements en Amérique latine de Pékin, concurrençant de plus en plus les États-Unis dans cette région du monde. Au point d’envisager une « Chinamérique », après la controversée « Chinafrique » ?
Réunis à Pékin, Michelle Bachelet et Xi Jinping ont signé une dizaine d’accords, portant sur des thèmes divers tels que le transport de produits agricole ou la coopération en Antarctique. Surtout, la présidente chilienne a annoncé que son pays avait été admis à la Banque Asiatique d’Investissements dans les Infrastructures (AIIB), une banque d’investissement pensée pour concurrencer le FMI et la Banque Mondiale et pour soutenir la politique de la « nouvelle route de la soie » de Pékin. Parmi les projets envisagés, un câble trans-Pacifique pour améliorer la connexion digitale Asie-Amérique ou une ligne de train transocéanique du Brésil au Pérou.
Concernant le Chili, cette adhésion est logique, tant la place de la Chine dans l’économie du pays andin s’est accrue au cours des dernières années puisque la moitié de ses exportations se dirige vers le marché asiatique, un quart vers la seule Chine : le commerce bilatéral entre ces deux nations a atteint 31 milliards de dollars en 2016. En outre, la Chine est devenue le principal partenaire économique du Brésil, du Chili et du Pérou, et le commerce entre la Chine et le continent sud-américain ayant été multiplié par 22 depuis 2000. Un approfondissement du traité de libre-échange entre Santiago et Pékin est d’ailleurs en négociations avancées. Michelle Bachelet a signalé que le Chili était prêt « pour être le pont entre l’Asie et l’Amérique latine », réaffirmant l’importance de l’Alliance du Pacifique dans cette optique. Avec ces accords, la Chine profite de la politique protectionniste des États-Unis dans la mesure où le Chili faisait parti du Partenariat Trans-Pacifique avant que celui-ci ne soit enterré par Donald Trump et dont Pékin était exclu.
La Chine, de puissance régionale à puissance globale
Les exportations chinoises en Amérique du Sud se sont multipliées depuis le début du XXIe siècle, passant de 6 milliards de dollars en 2000 à 130 milliards en 2016. Pour la Chine, cette politique d’investissements en Amérique latine revêt aussi une certaine logique : elle lui permet de concurrencer de façon ouverte les États-Unis dans une région considérée comme leur arrière-cour depuis la doctrine Monroe et de s’affirmer de plus en plus comme une puissance globale. Elle vise à dépasser l’influencer des grandes nations occidentales dans la gouvernance mondiale en multipliant les initiatives de coopération. À ce titre, sa politique américaine coïncide avec sa politique africaine : Pékin cherche à acquérir une indépendance énergétique et à tisser des liens commerciaux et diplomatiques avec le plus de partenaires possible. Si l’on a pu parler à un moment de façon provocatrice de « Chinafrique », le mouvement global du déplacement de centre de gravité commercial de l’Amérique latine des États-Unis vers la Chine peut nous permettre d’envisager de parler d’une « Chinamérique » à moyen terme, tant les desseins chinois dans cette régions sont importants.
Si le rapprochement entre la Chine et l’Amérique latine est indéniable, les obstacles à franchir demeurent importants. L’instabilité du continent latino-américain depuis quelques années – entre crise économique et transitions politiques – a particulièrement mis à mal certains projets : la récession vécue par le Brésil a ainsi gelé les avancées de la ligne ferroviaire transocéanique. Nul doute également que les Etats-Unis tenteront d’enrayer l’implantation chinoise dans une région du monde où ses intérêts stratégiques sont majeurs. Le concept Chinamérique s’apparente donc pour l’heure davantage aux ambitions chinoises qu’à la réalité de son emprise dans cette région du monde.