Le Brésil sur une ligne de crête
A la mi-avril, les députés brésiliens ont voté favorablement à l’ouverture de la procédure de destitution à l’encontre de la présidente Dilma Roussef. Une étape supplémentaire du feuilleton ouvert depuis deux par la révélation du scandale Petrobras, dont les conséquences à long-terme sur la vie politique brésilienne inquiètent.
Il convient d’abord de préciser les suites institutionnelles de la procédure initiée par les députés. Avec 367 voix pour sur 513, la chambre de députés a permis d’ouvrir un processus qui renvoie désormais la responsabilité à une commission du Sénat spécialement créée de déclarer ou non recevable la procédure, avis ensuite soumis en session plénière au vote à la majorité simple des sénateurs. En cas de vote favorable à la destitution, une période de 6 mois maximum s’ouvrirait, où le Vice-Président dirigerait le pays et au cours de laquelle une nouvelle commission sénatoriale examinerait sur le fond les preuves et arguments en faveur de la destitution. Le Tribunal suprême superviserait ensuite la procédure de jugement par l’ensemble des sénateurs, qui en s’exprimant (aux 2/3 minimum) pour la destitution de la présidente, conduiraient à la fin effective du mandat de Dilma Roussef. On le voit, la procédure institutionnelle en est à ses débuts, même si d’après les estimations les sénateurs devraient également majoritairement lui donner un franc aval.
Au-delà de ce constat, et qu’elle que soit l’issue des évènements, la crise politique que traverse le pays, sur fond de récession économique (-3,8% de PIB en 2015, même ordre de grandeur attendu en 2016), est riche d’enseignements sur l’état actuel du Brésil et de sa société.
D’abord, si la sphère politique est assurément en ébullition, les acquis essentiels et fondamentaux d’une société démocratique semblent préservés : liberté d’expression, de manifestation, larges pouvoirs accordés aux juges dans l’instigation de leurs enquêtes, opposition menant une campagne d’ampleur et vindicative contre l’exécutif en place… autant de pratiques dont le libre-cours pourrait à certains égards étonner dans un pays ayant connu un système dictatorial de 1964 à 1985 et dont la Constitution en vigueur ne date que de 1988. Un constat en contraste aussi avec la situation politique de pays (Chine, Russie…) auxquels le Brésil est parfois comparé et qui rappelle que de la similitude de situations économiques (concept des BRICS) ne sauraient être induits des rapprochements politiques. Pour autant, la nécessité de réformes à mener en matière institutionnelle, relatives notamment au grand nombre de partis politiques (35) rendant la constitution de majorités parlementaires délicates et les tractations politiques poreuses aux tentatives de corruption.
Après près de 15 ans de pouvoir du Parti des Travailleurs (PT) marqués par une politique redistributrice économiquement et progressiste au point de vue sociétal, la crise actuelle est également révélatrice d’un retour médiatique et politique de la droite brésilienne. Au-delà du scandale Petrobras (dans lequel un nombre important de membres de l’opposition parlementaire brésilienne sont par par ailleurs impliqués), l’actuelle mobilisation contre Dilma Roussef est aussi le fait d’une classe moyenne supérieure urbaine et plus favorisée, excédée par les politiques sociales et l’étatisme du PT qu’ils estiment abusifs. Le succès populaire du député Jair Bolsonaro, promoteur public des pratiques de tortures et de la dictature, ou de nombre de députés évangéliques, puissants dans les rangs parlementaires, rappelle également que le Brésil demeure un pays profondément chrétien et dont une importante partie de la population est conservatrice.
A moyen-terme, ce sont donc ces lignes de fracture au sein de la population ainsi que l’esprit revanchard d’une partie de l’élite économique et médiatique qu’il conviendra d’observer de près dans un après-Dilma de plus en plus probable.