Application des accords de Minsk : échange de prisonniers à la frontière ukrainienne
27 décembre 2017. Au check point de Maïorsk, sur la ligne de front séparant les positions des séparatistes pro-russes de celles des loyalistes de Kiev, les phares d’un ballet de camions trouent la nuit qui tombe sur le Dombass. Traversant le no man’s land, 74 Ukrainiens sont échangés contre 250 rebelles pro-russes. Les téléphones des chancelleries occidentales ont longtemps sonné avant que cet échange ne puisse avoir lieu. En toile de fond, on trouve les Accords de Minsk de 2015, la pression de Paris et Berlin et la volonté de Moscou de donner des gages à la communauté internationale. Le front de l’Est bouge, une première depuis 2016. Le conflit se sclérose en effet sur les positions de chacune des parties, pris tant dans un conflit aux enjeux locaux que dans la tourmente des précaires équilibres internationaux.
Un premier aboutissement des accords de Minsk
C’est une diplomatie empruntant des chemins détournés qui a permis ce geste inédit depuis septembre 2016 et longtemps repoussé faute de réelles volontés politiques. Portée par les appels répétés de la chancelière allemande et du président français, c’est finalement une intervention fin décembre 2017 du Patriarcat orthodoxe de Moscou qui a permis de vaincre les dernières réticences des chefs rebelles et de finaliser l’échange prévu par les Accords de Minsk de 2015. Depuis 2014, le pays s’enferme en effet dans une guerre d’usure contre les séparatistes pro-russes.
Une situation politique interne qui se dégrade
Le cessez-le feu du 5 septembre 2014 n’a pas fait cesser le sang. Celui de 2015 non plus. Dans les trois années qui suivirent les premiers Accords de Minsk, le conflit entre les milices séparatistes pro-russes et les unités régulières de l’armée ukrainienne a fait plus de douze milles morts. Ce cessez-le-feu n’en finit pas de tuer dans la quasi indifférence générale d’un conflit qui embarrasse les Etats-Unis et renforce la position de la Russie.
Et lorsque les fusils-mitrailleurs se taisent en République auto-proclamée de Lougansk, c’est pour céder le pas au risque d’une crise humanitaire. Les pannes géantes d’électricité et les multiples ruptures de conduites de gaz plongent des villes entières dans le noir, conduisant jour après jour le pays morcelé dans une paupérisation touchant chacune des parties du conflit. Les derniers chiffres de l’ONU de décembre 2017 font état de plus de 2900 morts civils et d’un million et demi de réfugiés.
En première ligne, se trouve le Président ukrainien, Petro Porochenko, le héraut de la place Maïdan. L’homme fort du mouvement Euromaïdan de 2014, devenu au yeux de certains l’homme de paille des oligarques ukrainiens doit faire face aux accusations de dérive autoritaire et de faiblesse face à la corruption. Sur le front intérieur, il lutte contre une opposition de plus en plus véhémente, rassemblée derrière les figures emblématiques de Mikheïl Saakachvili, son ancien allié de la place Maïdan, aujourd’hui derrière les barreaux d’une prison d’Etat et de Ioulia Tymochenko, l’égérie de la révolution orange de 2004.
Sur le front extérieur, la pression exercée par les milices russes indépendantes -Moscou réfute toutes implications militaires dans le conflit- déstabilise chaque jour un peu plus le pays.
L’Ukraine pris dans un jeu diplomatique qui la dépasse
Aux marches de l’Europe, l’Ukraine demeure surtout un zone de fracture entre la Russie et Washington. Un pays où ces deux grandes puissances se jaugent, avancent leurs pions, se répondent à coup d’embargo et de sanctions économiques, de tweets ou de protestations solennelles. L’annonce récente de Washington de « fournir à l’Ukraine des capacités défensives renforcées » (Communiqué de la porte-parole de la diplomatie américaine, Heather Nauert, le 23 décembre 2017) afin de l’aider à « assurer sa souveraineté » a entrainé la réaction de Moscou dénonçant le risque de « bain de sang » et redoutant l’influence américaine à ses portes.
L’Ukraine, sous perfusion des aides européennes (plus de 2,8 milliards d’euros depuis 2014), vit en effet au rythme du soutien apporté par les grandes puissances mondiales. Et si L’Europe persévère dans sa volonté d’intégrer l’Ukraine au sein de l’UE, les Etats-Unis hésitent entre une realpolitk qui veut les voir se rapprocher de la Russie et leur souci de ne rien perdre en influence dans cette zone. Enfin la Russie, voulant garantir la profondeur stratégique que lui confère sa zone d’influence en Crimée, n’entend rien céder sur son accès à la Mer Noire.
Une deuxième vague d’échange de prisonniers devrait se dérouler début 2018. C’est peut être le signe que la situation change à l’Est. Ou du moins que les intérêt des parties convergent sur ce point. La pression internationale reste forte et l’Ukraine, comme depuis deux siècles, demeure le terrain d’expression des rivalités des hyper-puissances.