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États-Unis, dollar et embargo

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La situation dans laquelle se trouve BNP-Paribas pour avoir violé l’embargo américain (Iran, Cuba, Soudan) et l’amende record que la banque encourt soulignent l’instrument de puissance, souvent négligé, que constitue encore pour les États-Unis la prédominance du dollar dans les échanges mondiaux et, à sa suite, l’influence des embargos que le pays décrète. Un soft-power qui tend cependant à être lui aussi de plus en plus contesté ou détourné.

Barack Obama a beau jeu de déclarer, à l’occasion de son passage en France, que l’exécutif ne saurait se mêler des procédures judiciaires engagées par la justice de son pays. L’affaire constitue pour lui une chance inespérée de réaffirmer la puissance des États-Unis sur la scène internationale, à un moment où le président était précisément de plus en plus critiqué pour son impuissance et son manque de vision en matière de politique étrangère. L’affaire BNP-Paribas permet en effet au pays de rappeler à l’ensemble du globe que le leadership et les prises de position des États-Unis comptent, et que quiconque ose s’y frotter aura a en assumer les conséquences (10 milliards de dollars potentiellement ici, BNP ayant été prévenu à plusieurs reprises par les autorités américaines). Le tout sans engager de troupes ou d’actions militaires, le sujet étant de plus en plus sensible au sein de la société civile.

Décrétés au nom d’oppositions idéologiques ou de lutte contre le terrorisme, les embargos sont donc dans les faits également un puissant instrument de politique étrangère. Du point de vue géopolitique, mais aussi économique. Ainsi en février dernier faisions-nous déjà écho de l’acception à géométrie variable de l’embargo sur l’Iran, les autorités américaines multipliant les exceptions et réglementations favorables sans le dire aux exportations américaines, au détriment de puissances déjà solidement implantées, à l’image de la France.

Face à cela, les autres grandes puissances et émergents s’adaptent et répondent sur le terrain économique. Le Brésil, avec ses investissements massifs à Cuba – port de Mariel – signifie aux états-uniens qu’ils ne sont pas les seuls acteurs étrangers sur place et maintiennent ainsi une pression faible mais continue sur l’administration américaine. De la même manière, Recep Tayyip Erdogan et Hassan Rohani – dirigeants turcs et iraniens – se sont respectivement rendus l’un chez l’autre au cours du premier semestre 2014, afin de discuter notamment d’un accord préférentiel sur l’achat de gaz iranien par les turcs en vue d’un assouplissement prochain de l’embargo américain, conditionné par la bonne tenue des négociations sur le nucléaire. Ainsi, dès qu’une faille ou l’horizon d’un geste américain se manifestent, des puissances émergentes se mobilisent en tentant d’établir des états de faits.

La nouveauté de ce début d’année est que des pays – nécessairement des puissances mondiales – quittent cette position simplement réactive, pour tenter d’établir un contre-modèle visant à contourner l’hégémonie du dollar américain. C’est dans ce sens que doivent être comprises les révélations du Financial Times faisant état du projet de nombreuses banques et entreprises russes de libeller leurs transactions avec l’Asie non plus en dollars mais en roubles ou yuan (renminbi), préférant de plus en plus Hongkong ou Singapour (qui ont chacune leur propre dollar) à New-York. L’isolement dont a fait preuve la Russie à la suite de l’épisode ukrainien l’a poussée à accélérer son rééquilibrage vers la Chine. Ainsi, la Chine et la Russie ont annoncé la création d’une agence commune de notation visant à concurrencer les classiques Fitch, Moody’s et Standard & Poor’s, et la banque centrale russe a également fait état de sa volonté de développer son propre système de paiement électronique pour là encore s’émanciper des américaines Visa et MasterCard.

La montée en puissance de la Chine se perçoit donc également dans le domaine monétaire et il est certain qu’en la matière l’ensemble des puissances commerçantes sauront jouer de cette concurrence pour affaiblir l’hégémonie américaine. Un succès de courte durée pour M.Obama donc.

 

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