L’aide publique au développement : débat économique, enjeux stratégiques (1/2)
Dans un rapport publié le 4 octobre dernier, la Banque Mondiale souligne que l’extrême pauvreté devrait tomber pour la première fois sous la barre des 10% de la population mondiale. L’occasion pour les Yeux du Monde de revenir sur le thème de l’économie de la pauvreté, et de traiter des débats économiques et de l’aspect stratégique qui entourent l’aide publique au développement (APD).
La volonté de l’APD était de répondre à un double déficit (en épargne domestique et en réserve de devise) des pays les moins avancés. L’apport financier de l’aide devait permettre d’accroitre le niveau de l’épargne domestique, augmentant ainsi l’accumulation du capital pour favoriser la croissance économique. Très rapidement, l’efficacité de l’APD a été le sujet de controverses entre les économistes.
Les adversaires de l’APD estiment qu’elle est source de laxisme chez le pays receveur, ne l’incitant pas à faire les réformes économiques nécessaires. Dans son essai Le fardeau de l’homme blanc – l’échec des politiques occidentales d’aide aux pays pauvres, William Easterly insiste sur le fait que plusieurs pays émergents ont réussi à devenir des pays développés sans recevoir d’aides financières extérieures. Dambisa Moyo, économiste zambienne, critique dans L’aide fatale : les ravages d’une aide inutile et de nouvelles solutions pour l’Afrique la situation de dépendance que créé l’aide, et souligne ses effets sur la corruption et la mal-gouvernance. Elle insiste dans son ouvrage sur la nécessité d’ouvrir l’Afrique au commerce mondial, de supprimer les subventions aux agriculteurs européens et américains qui concurrencent déloyalement les agriculteurs des pays aidés et les dangers de l’aide pour l’investissement domestique.
A l’opposé, Jeffrey Sachs défend la théorie d’une « trappe de la pauvreté », trappe de laquelle un pays pauvre ne peut se sortir sans un apport financier extérieur. Dans La fin de la pauvreté publiée en 2005, il estime que la pauvreté peut être éradiquée en 20 ans avec un envoi de fonds massifs. De 65 milliards de dollars en 2002, il estimait nécessaire qu’elle passe à 195 milliards de dollars en 2015. L’économiste Paul Collier critique pour sa part le mythe du choix des financements alternatifs à l’aide qui restent restreint selon lui pour beaucoup de pays.
Dépolitiser l’économie du développement
L’affrontement entre ces deux écoles de pensée s’est construit dans le cadre de la Guerre Froide, période où l’idéologie a pesé dans l’approche de l’économie du développement. Une nouvelle génération de chercheurs est apparue et le contexte de l’aide est désormais moins politisé.
L’icône de cette nouvelle génération d’économistes du développement est la française Esther Duflo. Professeure au MIT, elle a développé avec ses collègues de nouvelles méthodes de recherche pour évaluer l’efficacité de l’APD. Cette méthode « randomisée » est proche de celle des essais cliniques pour le test de médicaments : il s’agit de voir si la différence entre deux populations est bien due à l’aide reçue. Cette approche au cas par cas reste toutefois difficile à généraliser par son coût et par le fait que les acteurs du développement n’ont pas forcément intérêt à ce que cette méthode d’évaluation plus objective devienne la norme. Cette nouvelle approche est également accusée de manquer d’explication structurelle permettant de dégager un modèle général pour l’économie du développement.
Même avec une approche économique, on constate donc que l’APD a été une source de tensions idéologiques entre partisans de l’aide et ses détracteurs. Toutefois, le contexte actuel favorise de nouvelles méthodes d’évaluation plus neutres. Il en ressort que beaucoup de programmes d’aides sont inefficaces, mais que tout n’est pas à jeter. Il s’agira dans un prochain article d’analyser cette fois l’APD sous l’angle stratégique, comme outil d’influence et de sécurité dans les relations internationales.