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Wikipédia, la démocratie par le savoir

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Le 5ème site internet le plus visité au monde avec plus de 5,5 milliards d’internautes wikipédiens annuels a battu un nouveau record. L’encyclopédie libre en ligne qui a fêté ses 13 ans le 15 janvier dernier a franchi la barre des 1,5 millions d’articles… dans sa version française seulement. Fondée par Jimmy Wales et Larry Sanger en 2001, Wikipédia représente une révolution de la diffusion de la connaissance humaine, comparable à l’invention de l’imprimerie à caractères métalliques mobiles par Gutenberg au XVème siècle. Étroitement liée à l’essor d’internet et au mouvement du logiciel libre, Wikipédia démontre que l’intelligence collective peut créer de grandes choses.

Récemment, la société allemande PediaPress qui édite des livres à la demande, à partir des articles de l’encyclopédie en ligne, s’est lancée dans un projet fou : imprimer Wikipédia (sa version anglaise). Plus de 4 millions d’articles seront imprimés dans 1 000 volumes pour la Wikimania, la convention annuelle de la communauté Wikipédia en août 2014. Retour sur les origines de l’encyclopédie libre.

Wikipédia correspond à l’aboutissement et au prolongement du vœu des Lumières : rassembler la connaissance humaine pour extirper le peuple de l’obscurantisme et de l’ignorance. Seulement, les moyens diffèrent. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert s’appuyait sur un cercle restreint de savants et de philosophes européens pour rédiger ses quelques 72 000 articles et n’était accessible que pour une minorité de riches lettrés. Wikipédia demeure, par son accessibilité augmentée, le symbole de la libre circulation de la connaissance et de la culture. Elle est le fruit du travail collaboratif de tous. Il s’agit d’une forme de progrès par le bas, issu d’effets de réseaux vertueux, de dynamiques et de synergies propices au progrès de la connaissance humaine. Une idée inconcevable pour les Lumières…

Wikipédia s’érige contre les élites qui se proclament gardiennes monolithiques du savoir. Sa conception de la connaissance ne tient pas de la conservation (encore moins de la confiscation) mais de la remise en question permanente et par tous des acquis. Chacun peut donc apporter sa pierre à l’édifice en ajoutant, corrigeant ou augmentant un article. Encyclopédie libre, gratuite, non lucrative et anonyme, Wikipédia est un projet universel autorégulé, financé par des dons, et qui repose sur les fondements du bien commun et de l’intérêt général.

Cependant, le succès de Wikipédia dans le monde ainsi que son bon référencement sur les moteurs de recherche (Google en tête) font de ce puits de connaissances neutres un espace stratégique pour de nombreux acteurs politiques, religieux et économiques. Ainsi des lobbies profitent-ils de l’absence de barrières à l’entrée de l’encyclopédie pour accaparer, s’approprier et défendre des fragments du cyberespace en contrôlant des articles sensibles. Il s’agit de défendre une image, une marque, une réputation ou un point de vue ce qui est aux antipodes du principe créateur de Wikipédia : la libre création et circulation d’une information neutre. Les périodes d’élections électorales et de tensions internationales sont particulièrement propices à ces velléités de conquête du cyberespace commun. En filtrant et verrouillant l’accès à l’information par le contrôle de certains articles, ces groupes de pression défendent des intérêts privés en méprisant le bien commun et l’intérêt général.

En fournissant un accès quasi illimité au savoir aux populations du monde entier via ordinateurs, tablettes ou téléphones portables, Wikipédia permet aux sociétés de s’affranchir des barrières sociales classiques, de s’émanciper et de prendre leur destin en main. Les populations sont alors moins exposées à la propagande et à la désinformation. Les technologies de l’information et de la communication, les réseaux sociaux et Wikipédia façonnent une société-monde interconnectée grâce à Internet et favorisent l’émergence des sociétés civiles en tant que nouvel acteur géopolitique (cf. Printemps arabes).

Dans un contexte d’accroissement mondial du nombre d’étudiants au sein d’une société de l’information, Wikipédia, instrument neutre de diffusion du savoir humain, renforce la formation des opinions publiques et devient donc indirectement un outil de pouvoir. En 1597, le philosophe britannique Francis Bacon n’écrivait-il pas : « Savoir, c’est pouvoir ».

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Rémy SABATHIE

Secrétaire général et rédacteur géopolitique pour Les Yeux du Monde, Rémy Sabathié est analyste en stratégie internationale et en cybercriminalité. Il est diplômé de géopolitique, de géoéconomie et d’intelligence stratégique.

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