L’Afrique à l’écart de la justice internationale ?
Les orientations sénégalaises en terme de justice éclairent les contradictions africaines au cours de l’histoire contemporaine. Alors que le Sénégal ouvrait la vague africaine de ratifications du Statut de Rome dès 1999, qui marquait la création de la CPI (Cour Pénale Internationale), c’est aussi le Sénégal qui instaure une juridiction exceptionnelle pour le jugement de Hissène Habré en juillet 2015 puisque le pays n’a pas respecté ses devoirs envers la CPI. Il convient alors de se demander si l’Afrique est mise à l’écart de la justice internationale ou si elle s’y tient à l’écart pour privilégier d’autres intérêts.
Un des premiers éléments de réponse repose sur la perte de crédibilité de la justice internationale sur le continent africain. Depuis l’échec de la poursuite du kenyan Kenyatta malgré un premier mandat d’arrêt lancé en 2009 et surtout du soudanais El Bechir, une majorité du continent africain tend à nuancer les réussites de l’organisation internationale tant elle est loin de remplir ses fonctions.
Toutefois, l’hypothèse d’un retrait massif des pays africains de la CPI n’est pas envisageable. En effet, cela risquerait de mettre en péril la quête de croissance et de développement d’un certain nombre de pays africains qui doit nécessairement passer par une coopération avec l’Occident. Cela se vérifie par l’absence de retrait de la CPI de pays africains malgré des campagnes violentes pour réduire l’influence de la CPI sur le continent.
Dès lors, comment comprendre la marginalisation progressive du continent africain ? Ne doit-on pas se soustraire à une vision occidentalo-centrée pour évoquer l’émergence d’une Afrique qui veut se rendre indispensable à elle-même pour reprendre la formule d’Anne-Cécile Robert ? Une juridiction continentale serait pour l’Afrique un moyen de prouver au monde qu’elle est capable de juger elle-même ses dictateurs. N’est-ce pas précisément la mission originelle de la CPI ? Cette dernière n’a pas vocation à remplacer les juridictions nationales ou régionales mais à venir en appui à ces mêmes juridictions comme le montre la volonté de coopération avec la justice africaine grâce à l’APF, programme de soutien à la paix en Afrique. C’est ainsi une lecture trop simpliste de regarder les progrès de l’Union Africaine en matière de justice uniquement par rapport au bras fer avec la CPI. La création d’une Cour Africaine en Tanzanie en 2015 est donc une avancée pour la justice en Afrique si elle représente une complémentarité avec la CPI et non, une justice supplétive.
Cependant, une justice régionale indépendante n’est pas encore réelle tant son instrumentalisation est exacerbée par le président de l’UA, Mugabe. Ce dernier fustige la justice internationale en lui attribuant des relents de néocolonialisme, en reprenant l’idéologie de Kenyatta décrivant l’Afrique comme le « jouet des pouvoirs impérialistes en déclin ». L’équilibre entre l’UA et la CPI s’en trouve davantage déséquilibré lorsque les intérêts se rencontrent. Prenons l’exemple de l’Afrique du Sud. Face aux velléités diamétralement opposées de l’UA et de la CPI, quelle éthique de justice lorsqu’il s’agit de consolider l’unité continentale ? Les comportements des états africains restent actuellement dans une logique de choix entre justice continentale et justice internationale sans aucune volonté de trouver des solutions intermédiaires.
Dans ces conditions, si la réussite d’une justice internationale doit être nuancée, elle suscite tout de même des espoirs comme le soulignent les diverses juridictions nationales qui se lèvent contre les politiques à l’instar des idées prônées par la société civile du Burundi face à la justice singulière des Imbonerakure.
Il ne faut pas voir de divorce définitif (la Tunisie et la Côte d’Ivoire ayant même ratifié le Statut de Rome depuis 2009) mais l’Afrique, qui dans une certaine mesure est à l’origine de la création de la CPI en raison du génocide du Rwanda, reste un terrain sur lequel la justice internationale doit faire ses preuves dans le futur. En somme, la CPI en Afrique apparaît comme une justice des vainqueurs puisqu’elles n’arrivent à juger que des acteurs vaincus (échec des poursuites contre les acteurs encore influents). N’y a-t-il pas là une critique commune avec les tribunaux de Nuremberg, de Tokyo, des TPI pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda ?