PSU et deuxième gauche (4/4)
Sur la base du positionnement ni PC ni PS évoqué précédemment, toute une diversité de conflits locaux vont caractériser l’action du PSU des années 70, (Joint français, de LIP, Evian, Larzac…), avec comme fil rouge la dénonciation de la centralisation du pouvoir étatique, vécue comme une confiscation du politique. L’occasion de décliner les thèmes marxistes déjà évoqués, mais aussi, à travers un mode d’action militant, d’introduire dans le débat public plusieurs des grands thèmes qui constitueront dans les décennies suivantes les nouveaux axes de développement et horizons de la gauche dans son ensemble.
L’emblématique conflit LIP
On peut d’abord citer le rôle du PSU dans la mobilisation contre la fermeture de l’usine LIP Besançon, en 1973. Cette lutte est l’occasion d’inaugurer de nouvelles méthodes de résistance : la création d’un comité de réflexion sur le projet de fabrication autonome des montres pour contourner la coupure du versement des salaires, la délocalisation du stock de montres ainsi produites, la mobilisation du réseau national du PSU pour trouver des débouchés à ces mêmes montres, la place faite aux droits des femmes, répondent d’une volonté de mise en place d’un système parallèle. Loin d’être un classique rapport de forces syndicat/patronat, ce type de mobilisation se veut constructive et fondée sur la promotion d’une légitimité nouvelle, dénonçant l’acception classique de la propriété. C’est dans cette optique qu’après leur expulsion de la fabrique par les CRS, les employés et leurs soutiens PSU avancent le slogan selon lequel « l’usine est là où sont les travailleurs, l’usine ce n’est pas les murs c’est d’abord les travailleurs ».
Parallèlement – de nombreux liens existent entre les deux mouvements – le parti se mobilise aussi tout au long de la décennie de lutte dans le Larzac, en opposition à l’extension d’un camp militaire prévu au début des années 70 par le ministre de la défense Michel Debré. Les expropriations au service du pouvoir constituent un symbole fort du souverainisme de l’Etat et une mobilisation forte de protestation voit jour. Là encore, cet événement local est l’occasion de dénoncer un système global : des affiches fleurissent qui dénoncent d’un même mouvement l’armée, le nucléaire et les promoteurs.
Une structure pionnière dans l’introduction des enjeux environnementaux en France
Cependant, ces actions PSU ne se limitent pas à de simples opérations épisodiques suivant une logique de coup d’éclat. Le parti joue toujours, de manière complémentaire à ses actions de terrain, un rôle de réflexion programmatique. Là encore, la question de l’environnement est un domaine privilégié. Ainsi, dès 1977, le PSU propose une alternative au tout-nucléaire et tout-pétrole en proposant d’étudier des mix-énergétiques fondés sur le développement des énergies alternatives d’une part, un effort sans précédent de sobriété d’autre part. La transition énergétique est toujours comprise dans le cadre plus global de la transition socialiste et autogestionnaire. Au gigantisme des centrales nucléaires, le PSU oppose la gestion régionale de la production énergétique, dans une logique décentralisée où chacun gérerait ses propres petites unités. Des modalités d’échanges seraient à prévoir entre région pour gérer les pénuries et trop-pleins locaux, dans une logique de complémentarité, il y aurait même une logique économique car permettrait de réduire distances de transport de l’énergie, dont la perte d’électricité est directement fonction.
L’exemple détaillé de Plogoff, en Bretagne (lutte contre un projet de centrale nucléaire dans les années 70) illustre cette démarche et la manière dont le PSU fait de conflits locaux une base expérimentale de ses idées. Les militants du PSU-Bretagne sont présent dans les comités locaux d’information qui mènent les protestations. Mais dès 1978, à la suite de l’échouage de l’Amoco Cadiz, ses militants prennent l’initiative de regrouper divers acteurs locaux et régionaux (instituts océanographiques et météorologiques, Paysans-Travailleurs, diverses associations…) pour réfléchir à l’élaboration d’un programme énergétique alternatif. Une démarche qui aboutit au Projet Alter Breton (PAB) qui propose, à partir de projections des besoins énergétiques des ménages, entreprises, industries… un modèle d’éco-développement fondé sur les énergies renouvelables, assurant l’autonomie énergétique de la Bretagne dans une logique décentralisée. Là encore, la dimension sociétale est forte : le projet affirme qu’il est possible de satisfaire aux besoins dans le cadre d’une politique de « stabilisation de la consommation ». Il dénonce le « plus avoir », qui doit faire place aux « plus être » et « plus être ensemble », préalables à l’avènement d’une société «égalitaire ».
L’énergie, par le rôle qu’elle joue dans l’aménagement du territoire, est intrinsèquement politique. Ainsi, lutter contre le nucléaire revient aussi à dénoncer la coupure urbain/rural, la spécialisation des territoires et la concentration des bien publics. A l’inverse, le modèle décentralisé est censé assurer une organisation plus homogène du territoire et un pouvoir accru sur les structures de production : l’enjeu d’une gestion le plus démocratique possible est toujours présent. L’idée est que la proximité et pouvoir d’influence qu’elle suppose suscitent l’intérêt, la proximité permet à chaque citoyen de s’intéresser mais aussi et surtout d’avoir prise sur la palette variée des biens publics dont sa vie dépend. L’objectif sous-jacent est ne pas résumer le citoyen à son emploi, de contrer la segmentation des esprits où chacun ne se concentre que dans son domaine de spécialisation, conséquence d’une centralisation excessive qui met hors de portée les leviers d’action des biens publics. Dans cette perspective, on peut aussi citer les revendications en faveur des femmes. Le contexte des années 70, marqué par la conquête des droits des femmes à disposer de leur corps (loi Neuwirth sur la contraception en 1967, loi Veil sur l’IVG en 1975…) est régulièrement mis en avant au sein des luttes du PSU (création d’une section PSU femmes chez LIP par exemple), qui prolonge le mouvement féministe dans l’entreprise par une lutte pour l’égalité de traitement avec les hommes.
On le voit, à travers les revendications environnementales, féministes voire altermondialistes, le PSU inaugure un fond idéologique nouveau qui fait d’enjeux économiques et de lutte des classes le prolongements d’enjeux éthiques et moraux. Les origines chrétiennes surgissent ici, où l’on sent les influences du personnalisme (Emmanuel Mounier et la revue Esprit…), les origines chrétiennes de la CFDT et l’attachement à la dignité de la personne humaine, qui, laïcisées, impliquent voire exigent un égal potentiel de participation à la vie politique. Dans ce nouveau cadre, les luttes économiques s’inscrivent dans un contexte plus global qui est celui de luttes sociétales et progressivement s’inscrivent à l’agenda politique des thèmes qui seront récurrents dans les décennies suivantes.
Innovant sur le fond, le PSU l’est aussi par sa méthode et son approche transversales et « trans-structures » qui dépassent le cadre de l’usine ou de l’entreprise. Conformément à l’idée selon laquelle le socialisme est un concept de société qui ne se cantonne pas au champ économique, le PSU procède par un ensemble de métonymies éparpillées, faisant de chaque lutte localisée l’enjeu plus général de l’ensemble de la société civile. A chaque mobilisation de terrain, le PSU pratique, en accords avec divers groupes concernés (syndicats, Paysans-Travailleurs, comités locaux…) une politique du fait accompli, de la gestion autonome du lieu de production, du moyen de transport ou de l’immeuble. Dans tous les cas, l’auto-proclamation de la dimension « publique » de la lutte considérée suppose la revendication d’une nouvelle entité, représentative de ce « bien public » et légitime dans la gestion et les décisions stratégiques qui y ont trait. Une entité qui prend selon les cas des formes diverses (assemblées, comités ad-hoc….) mais qui toujours se veut garante d’une nouvelle gestion démocratique du bien public.
Une aventure fondatrice d’une nouvelle génération de figures de gauches
Finalement, le PSU se distingue par son apport intellectuel aux débats politiques sociaux et économiques du pays. Un des traits saillants de l’histoire du PSU demeure en effet le fossé entre son influence idéologique d’une part et son poids institutionnel d’autre part (15 000 membres au maximum, scores électoraux marginaux). Il est malgré tout un élément majeur de l’activité et du renouvellement de la gauche dans son ensemble, qui au cours des années 60/70 peine à fournir une véritable alternative au gaullisme dont le paternalisme et l’interventionnisme en matière de protection sociale concurrencent la SFIO sur ses terrains traditionnels. Plus que sa simple cristallisation institutionnelle, le véritable et durable renouveau engagé par le PSU est donc à considérer dans le champ idéologique. Les idées autogestionnaires, personnalistes, régionalistes connaissent, pendant et après l’existence du PSU, un écho certain dans un grand nombre d’organes de presse (l’Observateur, le Monde, l’Express…) et se déclineront à la suite du PSU dans chez un certain nombre d’organisations et personnalités, dont l’hétérogénéité reflète celle initiale de la « galaxie deuxième gauche ». On pense notamment à l’écologie politique avec des personnalités comme Daniel Cohn-Bendit ou Jean-Luc Bennahmias, Jacques Julliard dans la presse (Nouvel Observateur, Marianne), ou les rocardiens au sein du PS…
Plus largement, ancêtre du mouvement alter-mondialiste, le PSU aura joué un rôle important dans l’émergence de la notion de société civile à travers son opposition aux structures étatiques. Sur fond intellectuel de structuralisme et post-structuralisme (Barthes, Foucault…), les approches sectorielles trouvent peu à peu leur légitimité face aux superstructures « objectivantes » et normatives que sont l’Etat et les partis. Le PSU paraît ainsi répondre de la même logique que les nombreux groupes thématiques qui apparaissent alors : Groupe d’Information sur les Prisons (GIS), Groupe d’Information et de Soutien des Travailleurs Immigrés (GISTI), Mouvement de Libération des Femmes (MLF)… Les manifestations et organisations de type « Touche pas à mon pote » et SOS Racisme des années 80 peuvent ainsi être considérées comme des héritières de ce premier mouvement de mobilisation politique « non-partisan », formant alors une nouvelle génération de dirigeants politiques encore active aujourd’hui.