Elections législatives au Maroc: une confirmation pour le PJD ?
Ces élections législatives marocaines s’étant tenues le 7 Octobre dernier auront donc été marquées par la victoire du Parti de la Justice et du Développement (PJD) talonné par les libéraux du Parti Authenticité et Modernité (PAM). En dépit d’une mobilisation électorale très faible, cette élection est une confirmation pour le PJD, seul parti islamiste élu dans la foulée des soulèvements arabes de 2011 à s’être maintenu au pouvoir.
Quelle représentativité pour le PJD ?
« Un jour de gloire pour la démocratie”, un “peuple [ayant] voté en masse pour le parti”. Abdelilah Benkirane usant habilement de la “darija” (1) n’était pas avare de qualificatifs pour saluer la victoire de sa formation, le PJD, alors que les résultats provisoires venaient d’être annoncés. Cette victoire se doit néanmoins d’être modérée. Outre une mobilisation électorale très faible (2), il ne faudrait oublier que seul un tiers des Marocains sont inscrits sur les listes électorales. La fraude était également attendue mais ne semble pas avoir été un élément marquant, les chancelleries occidentales tout comme les observateurs du Conseil de l’Europe ont même salué des élections jugés “transparentes” et “exemplaires”.
Au-delà de la victoire du PJD (125 députés sur 395), il faut noter la progression du PAM qui obtient 109 sièges et confirme donc l’installation d’une bipartition de la vie politique marocaine, phénomène original dans un système proportionnel favorisant le multipartisme. En effet, ni les partis historiques tel le Parti de l’Indépendance ni la gauche marocaine n’ont obtenu des résultats à la hauteur de leurs espérances. Ils auront néanmoins un rôle important à jouer dans le gouvernement de coalition que devra former le PJD tant les islamistes et le PAM refusent toute collaboration.
Contradiction constitutionnelle ou choix délibéré ?
On touche ici au paradoxe des évolutions constitutionnelles marocaines. Car si cette bipartition du champ politique sied au caractère majoritaire donnée au système politique marocain par le révision constitutionnelle de 2011, elle n’en demeure pas pour autant un phénomène attendu dans un système électoral favorisant la fragmentation puisque basé sur la proportionnalité et un seuil électoral particulièrement faible de 3% (Melloni, 2013). Cette transition vers un système majoritaire tient en effet à un renforcement du pouvoir du Gouvernement et du Parlement mais surtout à l’obligation pour le Roi de choisir le Premier Ministre dans les rangs du parti arrivé en tête.
D’où cette question latente : cette contradiction procède-t-elle d’un calcul envisageant une normalisation par la pratique ou d’une volonté royale de garder un certain pouvoir, la royauté -il faut le rappeler- conservant des portefeuilles ministériels stratégiques et notamment la défense, les affaires religieuses ou encore l’économie ? Cette question est d’autant plus pertinente à la lumière du règne d’Hassan II qui avait volontairement fragmenté le champ politique pour mieux le soumettre à la fois par un scrutin proportionnel mais aussi par la création de partis et l’encouragement officieux donné aux scissions intra-partis. Cette stratégie de création résonne d’ailleurs avec la perception du PAM comme émanation du makhzen (pouvoir royal), le parti ayant été lancé en 2008 par un proche de Mohammed VI et dont la rhétorique se réduit à un supposé double langage du PJD qui voudrait en réalité islamiser la société marocaine puisqu’étant parti d’un “complot international [mené par ] les Frères Musulmans”.
Entre réductionnisme politique et lecture néo-orientaliste de l’islam politique
On en arrive ainsi aux deux problématiques centrales qu’éclaire ce scrutin et dont moult commentateurs ignorent la complexité. De prime abord, réduire la dynamique politique sous Mohammed VI et donc ce scrutin à une simple continuité de la “démocratie gouvernante [de type] hassanienne” (Melloni, 2013) serait réducteur. La réforme de 2011 , plus qu’une conséquence du Mouvement du 20 Février, a fait du mouvement une fenêtre d’opportunité politique dans un système politique marocain en évolution constante. De plus, l’équilibre entre le PJD et le pouvoir royal, qu’il soit vu comme une cohabitation ou comme une collaboration éclaire un système politique marocain hybride et complexe où la domination monarchique ne signifie pas pour autant l’absence d’espace de compétition politique. (Ferrié/Dupret, 2011). Quant à la proximité entre le PAM et le pouvoir royal, ne faut-il pas rappeler que tous les partis marocains y compris le PJD ont été créés par des membres ayant collaboré avec la royauté ?
Par ailleurs, une deuxième interprétation réductrice réside dans l’essentialisation du PJD qui ne serait qu’une branche annexe des Frères Musulmans pratiquant le double langage pour mieux cacher ses visées islamistantes. Cette lecture néo-orientaliste (Belal, 2013) empêche de saisir la spécificité du Parti de la Lampe (symbole du PJD), seule force politique “islamiste” élue dans la foulée des printemps arabe à s’être maintenue. Outre le fait que tous les partis marocains ont faire usage d’une façon ou d’une autre au “référentiel islamique”, un regard sur les réformes conduites par la coalition menée par le PJD a montré une action politique avant tout centrée sur des réformes économiques néolibérales et peu de mesures religieusement conservatrices. De même, le bicéphalisme du PJD partagée entre l’appareil du parti et le MUR (3), son organe de prédication censé refléter le double langage du PJD ignore le caractère hybride de cette interaction des dirigeants politiques s’appuyant sur l’éthique du MUR pour mieux faire progresser l’action politique marocaine.
Lire aussi: https://les-yeux-du-monde.fr/actualite/afrique-moyen-orient/8417-le-maroc-bientot-islamiste-suite
- Dialecte marocain
- Seulement 43% des électeurs se sont rendus aux urnes.
- Mouvement Unicité et Réforme
Sources:
http://www.liberation.fr/planete/2016/10/08/maroc-les-islamistes-vainqueurs-des-legislatives_1520594
Pour aller plus loin:
David Melloni, « La Constitution marocaine de 2011 : une mutation des ordres politique et juridique marocains », Pouvoirs 2013/2 (n° 145), p. 5-17. DOI 10.3917/pouv.145.0005
Haim Malka (2015) Power and Authority in Morocco, Adelphi Series, 55:452,59-78
Jean-Noël Ferrié, Baudouin Dupret, « La nouvelle architecture constitutionnelle et les trois désamorçages de la vie politique marocaine », Confluences Méditerranée 2011/3 (N° 78), p. 25-34. DOI 10.3917/come.078.0025
Karine Bennafla, « Introduction », Confluences Méditerranée 2011/3 (N° 78)
Youssef Belal, « L’islam politique au Maroc », Pouvoirs 2013/2 (n° 145), p. 71-81. DOI 10.3917/pouv.145.0071