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Fake news et diplomatie : de nouvelles relations entre les États ?

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Avant la fin de l’année, le gouvernement français proposera une loi visant à pénaliser la diffusion de « fake news », particulièrement en période électorale. Depuis quelques années, l’incidence croissante de ces « faits alternatifs » sur la vie politique, sur la perception des événements internationaux et sur les relations entre États amènent ces derniers à développer des stratégies de lutte contre ce phénomène de « post-vérité ». La tâche est ardue, la nature même de ces nouveaux moyens de communication rendant délicate toute riposte.
L’art de la propagande n’est pas nouveau mais l’essor de médias alternatifs modifie profondément le champ d’application de la communication des conflits. Les médias traditionnels n’ont plus le monopole de la diffusion de la parole officielle et les États doivent s’en accommoder.
Qu’en est-il réellement de l’influence de ces « fake news » sur les relations internationales ? A l’heure des post-vérités, dessinent-t-elles de façon plus durable les contours de l’échiquier géopolitique ?

L'émergence de "fake news" bouleverse le jeu diplomatique établi

Les fake news, une « nouvelle en apesanteur » 

Tout d’abord, il faut distinguer le phénomène idéologique, historiquement ancré dans le jeu géopolitique, de la propagation de fake news, dont l’émergence, dans les années 2000, redessine le spectre de la communication. Raphaël Enthoven décrit bien les mécanismes sous-tendant cette nouvelle guerre de communication. L’idéologie, présente de façon immémoriale dans la genèse des conflits, et de facto dans les relations inter-étatiques, agit comme un discours se rendant hermétique à toutes réfutations. De son côté, la propagation de fake news obéit à une logique toute différente. Il s’agit d’un « délire délibéré » spéculant sur les moyens de communication pour devenir réalité à force d’être repris. Cette « nouvelle en apesanteur » n’a pas de socle mais vit elle même sur « l’illusion qu’elle est vraie ».

Il semble que les fake news aient commencé à concurrencer l’idéologie lorsque le Secrétaire d’État américain Colin Powel a brandi en 2003 une fiole d’anthrax à la tribune des Nations Unies. Trente secondes pour justifier l’invasion de l’Irak et l’opinion a suivi. L’histoire jugera, mais la culture d’instantanéité et de scoop propre à notre monde s’accommode bien de ces procédés. Un clic, un post sur les réseaux sociaux, un retweet sur Twitter ou un like sur Facebook prévalent désormais sur le théâtre des relations internationales.

Les États ont commencé à se saisir de ces nouveaux enjeux.

En février 2017, la porte-parole de la diplomatie russe, Maria Zakharova, a annoncé que son gouvernement publiera désormais, en y apportant des réponses, les fausses nouvelles colportées par les médias étrangers. L’Alliance Atlantique a riposté immédiatement. Elle a accusé la Russie de mener une campagne de désinformation et a notamment pointé du doigt la chaîne Russia Today (RT) et l’agence d’information Sputnik. Sa stratégie s’accompagnera de la diffusion régulière de démentis aux fake news issues de ces médias.

Emblématique de ce conflit aux termes orwelliens, la politique de la fake news n’épargne pas les différents points chauds contemporains. Au Yémen, la guerre des faits alternatifs rythme le conflit : implication de l’Iran aux côtés des Houthis, participation de la Grande-Bretagne à la fourniture de bombes à fragmentation aux forces loyalistes… Autant de sujets mêlant inextricablement le vrai au faux, rendant délicate l’interprétation des alliances sous-tendant ces conflits.

Plus qu’une « propagande 2.0 », le modèle modifie sensiblement le champ d’application de la guerre de communication.  Au temps de la guerre du Vietnam, « rien ne servait de gagner une bataille si personne ne le savait » (Maréchal de Lattre de Tassigny). Aujourd’hui, il suffit que les gens « sachent » pour que la bataille soit gagnée – peu importe la réalité du terrain, ni même qu’il y ait un terrain. Au 20e siècle, il était possible de lutter contre une idéologie en élevant contre elle une idéologie contraire. La guerre de communication actuelle  ne se résume pas à la diffusion de fake news contraires. La riposte est plus délicate à mettre en œuvre et bien souvent peu efficiente.

Le modèle de la guerre asymétrique comme grille de lecture

L’idéologie structurait les blocs, rendait  les lignes de facture lisibles. Désormais, les fake news brouillent les cartes, instillent le doute dans les alliances, et peuvent même renverser les accords. Il fallait 20 ans pour installer une idéologie, à coups de révolutions, de purges et de culte de la personnalité. Il suffit maintenant de deux clics pour diffuser une fake news. Les États peinent à trouver des réponses contre cette nouvelle forme de guerre asymétrique. Les tentatives de juguler ces diffusions se heurtent bien souvent aux limites de nos modèles occidentaux (Premier amendement de la Constitution américaine, la liberté de la presse en Europe…).

Épisode sporadique, la fake news n’obéit à aucune stratégie globale de communication. Les modèles idéologiques étaient structurés, hiérarchiques, organisés logiquement. La diffusion de fake news obéit à un modèle en rhysome, dépourvu de réelles visées téléologiques et se suffisant à elle-même, pour reprendre  la théorie de Gilles Deleuze. En ce sens, elle semble accompagner le mouvement de l’histoire. Au monde bipolaire structuré par l’idéologie succède un monde multipolaire, composé d’États, de multinationales (GAFA, et BATX), de nébuleuses peu structurées, se mouvant au rythme de la diffusion de fake news.

Sur le terrain, aux bruits des canons répond maintenant le retweet de fake news.

Cette diplomatie laisse entrevoir de nouveaux angles morts dans la façon dont nos chancelleries gèrent les conflits. Le président américain Trump fait ainsi bien plus usage de ses tweets que de ses portes-avions. Il a sans doute cerné là où se trouvait le vrai champ de bataille. Il a fallu cinquante ans aux grandes puissances pour développer une vraie culture du combat asymétrique, de la contre-insurrection. Gageons qu’il faudra bien moins de temps pour que les États se saisissent, sérieusement, de cette nouvelle dynamique. La publication par le président Trump en juin 2017 de 71 fake news à l’occasion de son anniversaire participe sans doute à cette prise de conscience.

L’essence même de ces fake news rend leur réfutation délicate. Les démentis officiels ne font que leur donner un peu plus corps. La seule arme efficace contre le fait alternatif semble la post-vérité. Alors fake news contre fake news, la nouvelle théorie de la communication diplomatique semble devoir se lire via le modèle de l’économie de l’attention. Le genre des fake news permet de détourner l’attention sur un non-sujet, occultant une certaine part de la réalité. D’autant que le faux est beaucoup plus propice au débat. Seule la vérité rend libre, reste désormais à savoir de quelle vérité il est question.

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