L’attentat au Daghestan, quel contexte politique dans le Caucase du Nord ?
Un attentat meurtrier a eu lieu le 18 février à Kizliar, au Daghestan, une république autonome de la Russie du Caucase du Nord. Un résident local, Halil Halilov, âgé de 22 ans, a attaqué avec un fusil les paroissiens de la cathédrale Saint George lors des célébrations de la Maslenitsa[1]. L’attaque a fait cinq morts et quatre blessés. Revendiqué par l’organisation État islamique (EI), l’attentat du 18 février s’inscrit dans la lignée des actes terroristes qui perturbent la région du Caucase du Nord depuis trois décennies. Caractérisée par une instabilité politique extrêmement haute, la région est davantage vulnérable depuis le début de la campagne militaire russe en Syrie.
La complexité de la région caucasienne
Le Caucase du Nord est fortement marqué par sa spécificité régionale. Les contextes historique, démographique et géographique font de lui une région « explosive » au sein de la Fédération de Russie. Tout d’abord, la région se définit par une importante diversité ethnique et religieuse. Le Daghestan seul compte plus de trente groupes ethniques, notamment les Darghins, les Lezghiens, les Avars, les Koumyks et les Laks. Par ailleurs, le Caucase du Nord présente une forte majorité musulmane, principalement sunnite, mais aussi une population orthodoxe, qui a pourtant diminué de manière significative depuis les années 1990. En dehors de la mosaïque ethnique et religieuse complexe, le relief montagneux[2] du Caucase du Nord implique des difficultés pour la mise en œuvre des opérations contre-terroristes. Les boïeviks[3] locaux, souvent des habitants d’aouls[4], ont le grand avantage de parfaitement connaître le terrain où ils opèrent.
Le Caucase du Nord, la « poudrière » de la Russie
La région du Caucase du Nord occupe une place importante dans la politique intérieure de la Russie et dans l’agenda de la présidence russe. Le Caucase du Nord est une région marquée par des luttes politiques entre les clans locaux et par des conflits chauds récurrents qui se sont multipliés suite à la chute de l’URSS. Le mouvement séparatiste, apparu en Tchétchénie au début des années 1990, a eu pour conséquence plusieurs guerres qui ont causé un nombre indéterminé de victimes. En dépassant les frontières de la Tchétchénie, ces guerres ont eu un impact majeur sur la région dans son ensemble, y compris sur le Daghestan.
Suite à la deuxième guerre de Tchétchénie (1999-2009), Vladimir Poutine a réussi non seulement à trouver un équilibre fragile entre Moscou et Groznyi, mais aussi à y placer au pouvoir une personne favorable au Kremlin, Ramzan Kadyrov. Cependant, les retentissements des guerres en Tchétchénie sont toujours bien présents dans le Caucase du Nord où la mise en place du régime d’opération contreterroriste dans le cadre de la lutte contre les boïeviks reste très fréquente.
Le contexte syrien
La campagne militaire russe en Syrie qui a débuté en septembre 2015 a posé deux grands problèmes supplémentaires. Premièrement, un nombre important de combattants rebelles armés est parti pour rejoindre l’EI. Entre trois et quatre mille citoyens russes auraient rejoint les rangs de l’EI[5], dont 1200 seraient des ressortissants du Daghestan seul[6]. Il existe ainsi le danger qu’avec la succession des défaites militaires de l’EI en Syrie et en Irak, le théâtre des actions militaires se déplacera vers le Caucase du Nord.
Le deuxième problème posé consiste en une nouvelle vague d’attentats dans la région. Déjà en 2014, l’EI avait diffusé une vidéo menaçant de lancer une guerre de « libération » dans le Caucase du Nord et de « punir » la Russie pour la fourniture d’armes au régime de Bachar el-Assad. Depuis, huit attentats officiellement reconnus et revendiqués par l’EI ont eu lieu sur le territoire du Daghestan, notamment à Derbent et Kaspiisk.
Certaines mesures avaient déjà été prises afin de répondre à ces défis, comme la décision de créer en 2016 une Garde nationale (Natsgvardiya), un nouveau contingent militaire doté de pouvoirs étendus, dont l’objectif principal est la lutte contre le terrorisme. Cependant, la situation dans le Caucase du Nord, susceptible d’être sérieusement aggravée, va rester un enjeux actuel de l’agenda du gouvernement russe dans les années à venir.
[1] Une fête folklorique slave qui date de l’ère païenne et qui est célébrée la semaine précédant le Grand Carême orthodoxe.
[2] D’ailleurs, « Daghestan » se traduit comme « le pays des montagnes ».
[3] Des combattants rebelles armés.
[4] Un village fortifié que l’on trouve globalement partout dans le Caucase.
[5] BARRETT Richard, « Beyond the caliphate: Foreign Fighters and the Threat of Returnees », Soufan center, octobre 2017.
[6] MVD : « V ryadakh IGIL v Sirii vouyut bolee 1200 zhitelei Daghestana » (Le Ministère de l’intérieur : « Il y a plus de 1200 habitants du Daghestan qui se combattent dans les rangs de l’EI en Syrie »), RIA Daghestan, le 31 janvier 2017