Enlèvement de Dapchi : la menace Boko Haram sous-estimée ?
Le 19 février 2018, le Nigéria a connu une nouvelle « catastrophe nationale »[1] avec le kidnapping de 110 jeunes étudiantes par une faction de Boko Haram dans un collège de la ville de Dapchi (situé au nord-est du pays, dans l’État de Yobe). Pourtant, depuis quelques mois, plusieurs hommes politiques nigérians considéraient le groupe jihadiste comme affaibli et « à bout de souffle »[2]. Si le président Muhammadu Buhari, ancien officier militaire élu en mars 2015, avait fait de l’éradication de Boko Haram une de ses mesures phares, cet enlèvement rappelle que la tâche est encore loin d’être accomplie.
Manque de réaction de l’armée nigériane et communication confuse
Dans la soirée du 19 février 2018, plusieurs factions de Boko Haram lourdement armées et véhiculées ont pu accéder au collège de filles de Dapchi sans rencontrer la moindre résistance. Alors que le rapt a duré une petite heure, les forces armées sont arrivées sur les lieux du kidnapping bien trop tard. Le gouverneur de Yobe, Ibrahim Gaidam, a fortement critiqué la décision militaire prise une semaine plus tôt, demandant à l’ensemble des forces armés présentes à Dapchi de se redéployer vers une autre région. Par ailleurs, la communication gouvernementale qui a suivi le rapt est restée très brouillonne. Dans un premier temps, les autorités ont indiqué que plusieurs élèves avaient été récupérées par les forces armés nigérianes (en raison de la panne d’un des véhicules des terroristes), avant de se rétracter. Finalement, le 25 février -soit six jours après l’enlèvement-, un communiqué du ministère nigérian de l’information a indiqué que 110 jeunes filles étaient portées disparues.
Pourquoi enlever de jeunes étudiantes ?
Déjà en avril 2014, Boko Haram avait enlevé 276 étudiantes dans un lycée de la ville de Chibok (État de Borno). En réaction, la communauté internationale s’était mobilisée en lançant le célèbre slogan #Bringbackourgirls. Finalement, le mouvement s’était vite essoufflé et à l’heure actuelle, on estime qu’un peu moins d’une centaine de jeunes lycéennes de Chibok sont encore aux mains des terroristes.
Officiellement, le groupe jihadiste rattaché à l’Etat islamique depuis mars 2015, justifie ces rapts par des motivations religieuses. En effet, Boko Haram (qui veut dire littéralement « l’éducation occidentale est un pêché ») est opposé à tout système éducatif qui ne tient pas compte les principes de la Charia. Néanmoins, les enlèvements sont également motivés par des raisons plus concrètes.
En menaçant de réduire en esclavage, de marier de force ou de vendre au marché les filles kidnappées, le groupe sait que son discours provoquera l’indignation internationale. Cette dernière offrira d’une part de la notoriété à Boko Haram mais sera surtout un bon moyen pour le groupe d’augmenter la valeur de sa prise qu’il considère comme une monnaie d’échange. Le groupe sera ainsi en position de force dans les négociations visant à libérer les écolières contre certains hommes/officiers jihadistes emprisonnés ou de fortes rançons. Comme l’avait fait remarquer l’analyste Jacob Zenn[3], ces techniques de kidnapping ont d’ailleurs été copiées sur des méthodes employées par l’armée nigériane à partir de fin 2011. Des forces de l’ordre avaient arrêté des centaines de membres de familles des dirigeants de sectes afin de les utiliser comme un moyen de pression sur les combattants insurgés.
Boko Haram : un groupe terroriste encore loin d’être vaincu
Si le 25 décembre 2015, le président nigérian Mohammadu Buhari avait déclaré que l’armée avait « techniquement vaincu Boko Haram et remporté la guerre », la situation sécuritaire reste encore très compliquée autour du Lac Tchad. Suite à l’intervention de la Force multinationale d’intervention conjointe (MNJTF), déployée en novembre 2015, Boko Haram avait été profondément affaibli et s’était divisé en deux groupes : la faction de Shekau (dont les bases se trouvent dans la forêt de Sambisa) et la faction de Abou Mosab al-Barnaoui (dont le sanctuaire est situé dans les zones marécageuses de la cuvette nord du lac Tchad).
Néanmoins, malgré les victoires tactiques de la MNJTF, la base idéologique de Boko Haram est restée intacte et ses effectifs se sont reconstruit progressivement. Actuellement, Boko Haram compterait entre 7000 et 15 000 hommes et disposerait de plusieurs sources de financement. Les factions ont en outre changé de stratégie en délaissant l’implantation territoriale. Depuis 2017, les jihadistes ont multiplié les opérations de guérilla et les attentats suicides dans plusieurs pays de la région (Nigéria, Cameroun, Niger …), ciblant principalement des militaires. Leurs bases situées dans des zones difficiles d’accès sont de parfaits lieux de repli stratégique.
Par ailleurs, Boko Haram bénéficie d’une certaine sympathie de la part des populations locales. Ces dernières sont pauvres, bénéficient d’accords commerciaux très favorables avec les jihadistes et restent sensibles aux messages prêchés par le groupe. En effet, certaines causes profondes de l’insurrection dénoncées par Boko Haram, telles que les inégalités socio-économiques et la corruption, n’ont connu aucune amélioration depuis le début de la crise. Plutôt que de s’attaquer directement à ces problèmes, le gouvernement nigérian a décidé en décembre 2017 d’octroyer un milliard de dollars supplémentaires aux forces militaires afin de lutter contre le groupe jihadiste dans le nord-est du pays.
[1] Propos du président Muhammadu Buhari, le 24 février 2018.
[2]Martin Mateso, « Boko Haram « à bout de souffle» dans le bassin du lac Tchad » », Géopolis Afrique, 4 mars 2017.
[3] Elizabeth Pearson, Jacob Zenn, « How Nigerian police also detained women and children as weapon of war », The Guardian, 6 mai 2014.