La détention japonaise de Carlos Ghosn aura-t-elle raison de l’alliance Renault-Nissan et de son patron ?
Carlos Ghosn, le dirigeant de Renault-Nissan a fait l’objet d’une arrestation surprise le 19 novembre 2018 au Japon. Depuis ce jour, sa garde à vue n’a cessé d’être prolongée compte tenu des chefs d’accusation mouvants et de la spécificité de la justice japonaise qui laisse peu de place à la défense. L’alliance Renault-Nissan pâtit en premier lieu de cette arrestation très probablement fomentée par Nissan et qui visait expressément le dirigeant d’après le Financial Times.
Carlos Ghosn est un industriel franco-libanais. Patron du groupe Renault, il est devenu président du conseil d’administration de l’alliance Renault-Nissan. Celui qui a longtemps été désigné comme le « sauveur » de Nissan a usé de méthodes de management drastiques pour redresser l’entreprise japonaise. Le groupe Renault détient actuellement 43% de Nissan et a investi en 2017 dans le secteur de la presse, permettant la détention de 40% du magazine Challenges par exemple. Adoubé par l’État français qui possède 15% de Renault, Carlos Ghosn a été reconduit à la tête de l’entreprise pour un mandat de 4 ans jusqu’en 2022. (1)
C’est le groupe Nissan qui aurait diligenté et mené une enquête en interne durant plusieurs mois pour inculper Carlos Ghosn. Le dossier remis au parquet japonais en octobre 2018 a permis son arrestation surprise lors de son arrivée sur le territoire japonais le 19 novembre 2018.
Plusieurs chefs d’accusation et un avenir incertain
Le PDG de Renault-Nissan et son Bras droit, Greg Kelly, désormais libre, ont d’abord été accusé par la justice japonaise d’avoir volontairement omis de déclarer aux autorités boursières nippones 5 milliards de yen entre 2010 et 2015. Il leur est également reproché d’avoir minoré leurs revenus lors de leur déclaration dans les rapports financiers entre 2015 à 2018. Ce sont ainsi plusieurs milliards de yen (plus de 69 millions d’euros) qui auraient été cachés aux autorités financières nippones.
Un autre chef d’accusation est venu prolonger la détention du dirigeant de Renault le 20 décembre 2018. Carlos Ghosn est accusé d’avoir participé en 2008 à un montage financier complexe dans lequel il aurait pioché quelques millions de dollars dans « la réserve personnelle de Nissan ». Le but de cette opération aurait été de couvrir des pertes sur des investissements personnels du dirigeant en rémunérant un ami saoudien de plusieurs millions de dollars. De grosses sommes d’argent auraient aussi été versées à des institutions libanaises, que Carlos Ghosn a fréquentées, via la filiale RNBV chargée de coordonner l’alliance depuis les Pays-Bas. (2)
Carlos Ghosn devrait comparaître devant la justice nippone le 8 janvier 2019 à la demande de ses avocats. En application de l’article 34 de la Constitution japonaise, cette audience publique doit pousser le procureur de Tokyo à rendre transparent le motif de la détention qui a de nouveau été prolongée jusqu’au 11 janvier 2019. (3)
L’alliance Renault-Nissan dans la tourmente
Fin décembre 2018, le groupe Renault-Nissan se divisait sur la question du maintien en fonction de Ghosn. Alors que Nissan-Mitsubishi Motors le destituait de ses fonctions, le groupe français choisissait de le maintenir en poste malgré son empêchement provisoire. Les relations entre Renault et Nissan se sont nettement détériorées depuis novembre 2018. Symbole de la lutte qui se joue entre les deux protagonistes de l’alliance, Renault a demandé la tenue d’une réunion des actionnaires de Nissan. Cette demande a été refusée par Nissan qui la considère comme une nouvelle mainmise de Renault au moment où le procureur de Tokyo a ordonné un changement profond de la gouvernance de Nissan. Pourtant Renault détient 43% de Nissan ce qui lui octroie la présence de trois administrateurs au conseil d’administration de Nissan, mais deux sont actuellement en prison. (4)
Cette arrestation laisse en suspend plusieurs pistes de réflexion. En premier lieu, l’affaire Ghosn interroge le rapport nippon à l’intégrité des affaires et renvoie une image sévère de la justice japonaise aux partenaires étrangers. En effet, la pratique de cette dernière apparaît difficilement maîtrisable voire surprenante dans des relations d’affaires, par exemple en niant la présence des avocats de la défense lors des interrogatoires. Aussi, le timing de l’arrestation surprise de Carlos Ghosn pose la question des motivations à l’écarter alors même qu’il ne cachait pas sa volonté de fusionner les deux entreprises de l’alliance, ce à quoi Nissan s’opposait formellement.
La recherche d’un équilibre entre les deux entreprises semble primordiale quoique complexe en ces temps troublés. En effet, l’année 2018 aura été plutôt mauvaise pour Nissan qui a fait face à un rappel de voitures, à la difficulté de pénétrer le marché américain et à un recul de ses ventes en Europe. L’année 2019 sera donc cruciale pour le constructeur. Chez Renault, Thierry Bolloré assure le poste de directeur par intérim depuis novembre 2018. Cependant, une décision devra être prise quant à l’avenir de Carlos Ghosn chez Renault si sa détention était de nouveau prolongée ou si les chefs d’accusations devaient porter préjudice à l’image de l’entreprise. (5)
Sources:
(1) https://www.franceinter.fr/emissions/secrets-d-info/secrets-d-info-07-avril-2018