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Crise au Soudan : pourquoi l’indifférence de la communauté internationale ?

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Depuis plus de trois semaines, le président soudanais, Omar el-Béchir, fait face à d’importantes contestations populaires. La colère se cristallise autour du marasme économique dont le pays est victime depuis plusieurs années. La valeur de la livre soudanaise a chuté, tandis que les prix des produits de première nécessité, comme le pain, ont explosé. Les manifestations ont été violemment réprimées par le gouvernement, certains bilans faisant état de 40 morts. Le président, en fonction depuis 1989, a connu des crises auparavant, mais jamais de cette ampleur. Les nouvelles alliances qu’il a nouées lui permettront-elles de continuer à s’accrocher au pouvoir ?

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Le président el-Béchir parviendra-t-il à étouffer la contestation populaire ?

Selon Amnesty International, le gouvernement soudanais ne respecte pas l’ensemble des droits humains et la situation au Darfour demeure « catastrophique ». Cette guerre civile, qui a débuté en 2003, oppose les forces gouvernementales à des groupes rebelles. Ce conflit aurait fait 300 000 morts et 2,7 millions de déplacés. Dans ce contexte, le président, el-Béchir, a été mis en accusation par la Cour Pénale Internationale pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Pourtant, la communauté internationale semble particulièrement discrète sur la crise que traverse le Soudan. Si un soutien affiché au président n’est pas de mise, la répression du régime n’est que faiblement condamnée, voire, pas du tout. En effet, depuis quelques années, Omar el-Béchir est parvenu à nouer un réseau d’alliances pragmatiques, essentielles à sa survie politique.

Difficultés économiques

Depuis l’indépendance du Soudan du Sud en 2011, la viabilité de l’économie soudanaise est menacée. De fait, Khartoum a perdu l’accès aux nombreuses ressources de pétrole situées dans les territoires Sud. La production est passée de 450 000 barils par jour, à seulement 100 000. Cette nouvelle conjoncture a poussé le président à réduire les dépenses publiques et à chercher de nouvelles formes de revenus. Le Soudan s’est tourné vers les aides financières étrangères pour sustenter son économie.

Rapprochement avec les pays arabes

Autrefois partenaire privilégié de l’Iran, le gouvernement a abandonné son allié de longue date pour requérir l’appui des pays du Golfe. La relation qu’entretenaient l’Iran et le Soudan était en partie due au fait que les deux Etats étaient considérés comme des « parias » par les membres de la communauté internationale. Le Soudan supportait le programme nucléaire iranien tandis que l’Iran supportait la répression au Darfour. Toutefois, ce changement d’alliance ne doit pas être perçu comme un désaccord idéologique, mais plutôt comme une manœuvre stratégique de la part de Khartoum.

Une alliance pragmatique

Le Soudan a besoin des pays du Golfe, comme l’Arabie Saoudite, afin de maintenir son économie à flot. De même, les monarchies pétrolières ont intérêt à intégrer le Soudan dans leur réseau, afin d’affaiblir l’Iran et de combler le vide laissé par les Etats-Unis, qui se désengage peu à peu de la région. Ainsi, en Libye, le Soudan a arrêté de soutenir les opposants au gouvernement de Tobrouk et s’est aligné sur la position de l’Egypte et des Emirats arabes unis, qui défendent le régime en place à l’aide de frappes aériennes. De même, l’Egypte a collaboré avec le gouvernement d’el-Béchir afin de négocier avec l’Ethiopie sur l’épineux dossier du barrage de la Renaissance. L’Arabie Saoudite a également intérêt à préserver de bonnes relations avec le Soudan, en raison de sa dépendance alimentaire au pays. Ainsi, tout au long de la crise soudanaise, les chefs de ces Etats ont exprimé leur soutien au gouvernement. Néanmoins, cet appui n’est pas uniquement une preuve de fidélité. En effet, le Printemps arabe de 2011 est dans tous les esprits et les dirigeants autocratiques sont opposés à tout mouvement populaire qui pourrait avoir des répercussions dans leur propre pays.

Le silence des Occidentaux, un jeu d’intérêts

Pour ce qui est des Occidentaux, ces derniers sont majoritairement hostiles à une déstabilisation du pays, de peur de voir surgir de nouveaux groupes terroristes, attirés par le chaos et la faillite de l’Etat. Une source de la diplomatie européenne évoque également la crainte d’une nouvelle vague de migration vers l’Europe, constituée de réfugiés fuyant un Soudan en déliquescence. Les puissances occidentales donnent la priorité à la stabilité sur la démocratie. De même, depuis plusieurs années déjà, le président el-Béchir a tenté de se rapprocher des Etats-Unis afin de faire lever les sanctions qui pèsent sur son pays. Le pari est à demi réussi. Si le Soudan demeure sur la liste américaine des Etats qui soutiennent le terrorisme, toutes les sanctions économiques ont été levées l’an passé. De plus, la rupture entre le Soudan et l’Iran favorise les relations américano-soudanaises, le président Trump étant un farouche opposant de la république islamique. Enfin, la collaboration entre Washington et Khartoum dans la lutte contre le terrorisme pousse les Etats-Unis à une certaine indulgence envers le régime autocratique.

Ainsi, à l’aide d’habiles manœuvres politiques, Omar el-Béchir a réussi à renverser ses alliances afin de stabiliser l’économie soudanaise mais, aussi et surtout, afin de s’accrocher au pouvoir. Les pays du Golfe bénéficient d’un partenariat avec le Soudan et craignent pour leur propre stabilité en cas de propagation d’un mouvement de contestation. Quant aux Occidentaux, la perspective d’un Etat failli dans une région clef de l’Afrique effraie tout autant par les risques de vagues migratoires que par le possible développement de nouveaux groupes terroristes. Si l’avenir de la crise soudanaise demeure incertain, il est possible d’affirmer que les insurgés ne bénéficieront pas d’appuis extérieurs, les intérêts personnels en jeu étant trop importants.

 

Sources

https://worldview.stratfor.com/article/sudan-president-protests-economy-election-bashir-2020

https://worldview.stratfor.com/article/sudans-new-friendships-are-starting-pay

https://worldview.stratfor.com/article/sudans-struggle-win-us-approval

https://worldview.stratfor.com/article/cold-logic-sudanese-foreign-policy

https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/01/12/soudan-pour-la-communaute-internationale-mieux-vaut-un-regime-conteste-que-le-chaos_5408330_3212.html

https://www.amnesty.org/fr/countries/africa/sudan/report-sudan/

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Clara JALABERT

Clara JALABERT est étudiante en Master International Security à l'école d'affaires internationales de Sciences Po. Elle se spécialise dans l'étude de l'Asie et des risques sécuritaires.

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