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Odebrecht : le Pérou dans la tourmente

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La tornade politique d’Odebrecht continue de sévir en Amérique Latine avec le suicide de l’ancien Président péruvien Alan García. Mercredi 17 avril, alors que la police venait l’arrêter pour le placer en détention provisoire à la demande de la justice, celui qui fut président du Pérou entre 1985 et 1990, puis entre 2006 et 2011, s’est suicidé afin d’échapper aux poursuites judiciaires de blanchiment d’argent. Une semaine plus tard, l’ex-responsable d’Odebrecht au Pérou, Jorge Barata, a confirmé l’implication de García dans l’affaire de corruption. La multinationale est à l’origine d’un système de corruption impliquant de nombreux hommes politiques et entreprises à travers l’Amérique Latine.

L'ancien président péruvien Alan Garcia mis en cause dans l'affaire Odebrecht
Mis en cause dans l’affaire de corruption Odebrecht, l’ancien président péruvien Alan García s’est suicidé.

En quatre jours d’interrogatoire à Curitiba (Brésil), l’ancien dirigeant d’Odebrecht au Pérou, Jorge Barata, a fourni des informations essentielles à l’équipe de procureurs en charge des poursuites dans l’affaire Odebrecht. L’ancien directeur a confirmé que la société avait alloué des fonds illégaux aux campagnes électorales de quatre ex-présidents péruviens. Toledo, Humala, García et Kuczynski sont sur le banc des accusés. Ces révélations font suite au suicide de l’ancien président Alan García (1985-1990, 2006-2011).

Les “routes de l’argent” dévoilées

Barata a communiqué aux procureurs les « routes de l’argent » que la société brésilienne a distribuées aux responsables politiques. Il a également confirmé qu’il exploitait un « club de la construction » qui versait des pots-de-vin aux fonctionnaires du Ministère des Transports et des Communications pour obtenir la concession de plusieurs ouvrages publics. De plus, d’autres sociétés péruviennes et brésiliennes auraient intégré ce « club ».

L’interrogatoire de M. Barata intervient dans le cadre d’un accord de coopération entre la justice péruvienne et l’entreprise brésilienne. Odebrecht est accusé d’avoir versé au moins 29 millions de dollars de pots-de-vin au Pérou entre 2005 et 2014. La société devra payer 182 millions de dollars au Pérou au titre de réparations civiles. Ce montant a été calculé sur la base des quatre projets de travaux publics que l’entreprise brésilienne a obtenus.

A propos d’Alan García, Barata a affirmé que l’ex-président savait que le constructeur avait versé des pots-de-vin. Alan García est accusé de trafic d’influence dans le traitement des travaux de la ligne 1 du métro de Lima. Des accusations de blanchiment d’argent et de collusion ont également été ajoutées à l’enquête. Barata a révélé que plusieurs proches collaborateurs de l’ancien président avaient reçu des pots-de-vin de la part d’Odebrecht. L’ancien secrétaire de la présidence Luis Nava aurait ainsi reçu plus de quatre millions de dollars de la comptabilité parallèle de l’entreprise de construction.

Quatre présidents impliqués

Au Pérou, tous les chefs d’État ayant gouverné le pays entre 2001 et 2018 sont inquiétés par la justice. Alejandro Toledo (2001-2006) est accusé de trafic d’influence et de blanchiment d’argent. Il aurait également touché 20 millions de dollars pour la construction de la route interocéanique reliant le Pacifique à l’Atlantique. Sous le coup d’un mandat d’arrêt depuis 2017, il a fui aux États-Unis.

Ollanta Humala, au pouvoir de 2011 à 2016, vient de passer neuf mois en détention provisoire. Il aurait reçu 2,8 millions de dollars de la part d’Odebrecht pour le financement de sa campagne électorale de 2011. Quant à Pedro Pablo Kuczynski (2016-2018), il est le premier président en exercice à démissionner à cause de ses liens avec Odebrecht. La société affirme avoir versé 5 millions de dollars à des entreprises de conseil directement liées au chef de l’État. La justice péruvienne a récemment prolongé pour 36 mois la détention provisoire de l’ex-président.

Crise politique au Pérou

Si les scandales n’ont que peu impacté l’économie péruvienne, la défiance envers le pouvoir est très élevée. Les péruviens ont voté à une large majorité en faveur du référendum lancé par le nouveau président Martín Vizcarra. Ce dernier a lancé une croisade contre la corruption et désire réformer les institutions. Il a cependant lui-même été accusé d’avoir entretenu des liens avec Odebrecht.

Les scandales ont également entaché l’opposition. Keiko Fujimori a été placée en détention provisoire, la justice soupçonnant Odebrecht d’avoir financé deux de ses campagnes. La justice aussi a été impliquée dans de vastes scandales d’accusations pour des jugements favorables. Ainsi, selon les chiffres de janvier de l’Institut national pénitentiaire, seuls 2% des accusés ayant fait l’objet d’une enquête pour corruption sont en détention.

Odebrecht, une tornade politique en Amérique Latine

Odebrecht est à l’origine d’un vaste système de corruption impliquant de nombreuses entreprises et des hommes politiques. La société brésilienne se partage alors les appels d’offres de la société pétrolière Petrobas avec d’autres groupes du BTP. Appliquant une surfacturation de leurs prestations, les cadres du groupe pétrolier et les responsables politiques de tout bord en bénéficient. Odebrecht, qui a obtenu plus de 2000 chantiers dans trente pays, exporte sa mécanique corruptrice au-delà des frontières brésiliennes.

Selon le ministère de la justice des États-Unis, le géant de la construction aurait versé 788 millions de dollars en pots-de-vin entre 2001 et 2016 pour obtenir des faveurs politiques et plus de 100 contrats de construction, dont d’importants marchés de travaux publics. De l’Argentine au Mexique, dix pays d’Amérique Latine sont concernés. Le scandale s’est également étendu à deux pays d’Afrique, l’Angola et le Mozambique.

De multiples condamnations

Depuis les premières révélations, les enquêtes se multiplient. En Colombie, Odebrecht ne peut entreprendre une quelconque activité au cours des dix prochaines années. Le Mexique a interdit l’entreprise brésilienne et sa filiale mexicaine d’activité dans les travaux publics pour trois ans. Au Brésil, pays d’origine du scandale, l’ancien président Lula a été condamné à 12 ans de prison. En outre, si ce fut le cas le plus médiatisé, il n’est pas isolé. Dans cette affaire, la corruption n’a pas de couleur politique. De ce fait, sont visés tant des responsables politiques de droite que de gauche.

La saga n’est néanmoins pas terminée. En Colombie, la condamnation de l’ex-président de la société Corficolombiana Elías Melo Acosta, ouvre la porte à de nouvelles enquêtes. Cinq autres personnes pourraient ainsi avoir participé au paiement de pots-de-vin par Odebrecht pour l’accès à des contrats d’infrastructure publique. La justice veut notamment déterminer si Luis Carlos Sarmiento Gutiérrez, président du groupe Aval, est impliqué.

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Solène VIZIER

Solène Vizier est diplômée d’un Master 2 Etudes Stratégiques. Passionnée de géopolitique, ses domaines de spécialisation concernent les mondes hispanophone et russophone, le désarmement nucléaire et la géopolitique du sport. Elle est rédactrice aux Yeux du Monde depuis avril 2019.

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