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La Russie n’a jamais été aussi proche des Talibans

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Dans un revirement dont l’histoire seule a le secret, la Russie de Vladimir Poutine a encore accentué son rapprochement avec les Talibans, 30 ans après le retrait des troupes soviétiques stationnées en Afghanistan. Nés de la résistance islamique à l’intervention soviétique (1979-1989), les Talibans ont trouvé en Moscou un partenaire non seulement prêt à jouer le rôle d’entremetteur mais dont les intérêts sont de plus en plus alignés avec les leurs. La Russie a toujours affirmé chercher une solution de compromis pour restaurer la paix. Elle semble désormais pencher de plus en plus en faveur des Talibans, au détriment du gouvernement de Kaboul.

Notables afghans hostiles au gouvernement officiel et Talibans réunis à Moscou en mai 2019.
Représentants des Talibans et politiques afghans à Moscou

Le 27 mai dernier avait lieu le centenaire des relations diplomatiques russo-afghanes. A cette occasion, représentants des Talibans et politiques afghans se sont retrouvés à Moscou en l’absence d’envoyés officiels de Kaboul. L’ancien président Hamid Karzai était présent. Si le gouvernement du président Ghani s’est empressé de dénoncer cette rencontre, elle témoigne de l’influence faiblissante du gouvernement démocratique afghan, tenu à bout de bras par une coalition occidentale.

Alors que la Russie avait depuis 2016 parrainé des négociations selon le format de Moscou, incluant le Pakistan, l’Inde, la Chine, l’Iran et l’Afghanistan, elle a, pour la première fois en février 2019, accueilli des représentants des Talibans et des notables afghans extérieurs au gouvernement. Un tel format met en cause la légitimité du gouvernement d’Ashraf Ghani, qui ne contrôle déjà plus que 40% du territoire afghan.

Des liens de plus en plus resserrés

Ce nouveau positionnement de la Russie s’inscrit dans une évolution plus vaste. Les échanges entre Talibans et officiels russes remonteraient à 2005, alors que les Talibans n’étaient plus que l’ombre d’eux-mêmes. Les discussions visaient à réduire l’activisme de militants islamistes dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale, en particulier en Ouzbékistan. Le regain de puissance des Talibans pouvait servir les intérêts de Moscou dans un contexte de tensions croissantes avec Washington. La crainte d’activités terroristes incitait cependant à la circonspection.

Cela a motivé la mise en place du format de Moscou. Celui-ci devait servir un quadruple objectif : affirmer la position de Moscou comme intermédiaire entre Kaboul et les Talibans, renforcer le rôle de l’Organisation de Coopération de Shanghai dans la région, s’imposer comme un entremetteur entre les Talibans et les Etats-Unis, endiguer les ambitions de la Chine en Afghanistan.

Les Talibans, gage de sécurité pour Moscou

Malgré ce positionnement, les accusations de vente d’armes aux Talibans ont été nombreuses ces dernières années, bien que ces ventes aient vraisemblablement été également destinées à d’autres groupes. Le retournement de Moscou en faveur des Talibans repose sur trois piliers. Le premier est la puissance militaire et politique croissante de ces derniers. Leurs nombreuses offensives contre les forces régulières afghanes ont démontré leur capacité à s’imposer.

Le second pilier est la lutte contre l’État Islamique, présent en Afghanistan comme dans les anciennes républiques soviétiques d’Asie centrale. Aux yeux des russes, les Talibans se sont avérés être les plus aptes à le combattre. De surcroît, les autorités russes considèrent que les Talibans seront plus à même de contrôler les trafics de drogues. L’Afghanistan est en effet l’une des plaques tournantes du trafic mondial de drogue et l’un des principaux centres de production. Bien que les Talibans bénéficient du trafic d’héroïne à hauteur de 100 à 300 millions de dollars par an, la Russie pense pouvoir infléchir leur position sur ce sujet.

Moscou pourrait ainsi accélérer les négociations en cours entre Washington et les Talibans. En renforçant la position de ces derniers face au gouvernement officiel de Kaboul, elle pourrait accentuer la pression sur les négociateurs américains, confrontés à une guerre sans issue. Ironie de l’histoire, les Talibans pourraient revenir au pouvoir grâce au soutien russe, alors même que le soutien américain aux moudjahidines lors de l’invasion soviétique avait permis l’ascension des Talibans dans les années 1990. Pour autant, il ne faut pas oublier le morcèlement assez important du mouvement taliban en factions plus ou moins rivales. Si Moscou tire parti de ces rivalités pour imposer son calendrier, un Afghanistan contrôlé par un régime taliban faible pourrait devenir un nouveau havre terroriste.

Sources :

RAMANI Samuel, « Russia’s Falling Out With Kabul », The Diplomat, 6 juin 2019 – https://thediplomat.com/2019/06/russias-falling-out-with-kabul/

RAMANI Samuel, « Russia and the Taliban: A Closer Look », The Diplomat, 29 décembre 2016 – https://thediplomat.com/2016/12/russia-and-the-taliban-a-closer-look/

ENGEL RASMUSSEN Sune, « Russia accused of supplying Taliban as power shift creates Strange bedfellows », The Guardian, 22 octobre 2017 – https://www.theguardian.com/world/2017/oct/22/russia-supplying-taliban-afghanistan

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