Ethiopie, entre tensions ethniques et régionalismes : le cas Oromo
Le mardi 10 décembre, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, recevait à Oslo le prix Nobel de la paix. Cette distinction récompensant les efforts de paix réalisés avec le voisin érythréen a créé la polémique. En effet, les tensions ethniques qui déchirent le pays ne se sont pas calmées et les élections législatives prévues en mai prochain pourraient être reportées. Le peuple oromo, groupe ethnique le plus important d’Éthiopie se retrouve aujourd’hui au centre des enjeux ethniques et politiques.
Les régionalismes éthiopiens au défi du fédéralisme
D’abord, les tensions inter-communautaires que connait l’Ethiopie sont majoritairement liées à l’accès aux ressources et à la terre. Selon le chercheur Mehdi Labzaé, ces conflits se sont largement renforcés après 1995 lorsque le fédéralisme ethnique fut mis en place. Dotée d’une population de 93 millions d’habitants, l’Ethiopie se caractérise par son extrême diversité de nations. Plurilingue et pluriethnique, l’Etat s’est inspiré des créations fédérales occidentales. Aujourd’hui, différents Etats éthiopiens sont ainsi traversés par des régionalismes très marqués.
Depuis 2015, de nombreux événements tragiques se sont déroulés sur le sol éthiopien. En 2015, la contestation d’un projet d’expansion des limites administratives d’Addis-Abeba par le peuple Oromo avait mis le feu aux poudres. Ce projet déclencheur a débouché sur un mouvement antigouvernemental plus vaste. Le premier ministre de l’époque, Hailemariam Desalegn, avait dû déclarer l’état d’urgence. A terme, il démissionna en février 2018.
L’Oromia, le cœur des tensions internes
Bien que la communauté Oromo soit celle d’origine du premier ministre actuel, c’est en Oromia que les tensions internes sont les plus intenses. C’est de surcroît, la plus peuplée des neuf régions administratives que compte l’Ethiopie. Elle est le cœur des révoltes contre l’ancien gouvernement mais aussi contre le régime actuel. Depuis l’arrivée d’Abiy Ahmed, les velléités nationalistes du peuple oromo et notamment du Front de libération Oromo (FLO) se sont multipliées. En août 2018, le gouvernement et le FLO avaient d’ailleurs signé un accord de réconciliation autorisant les séparatistes à poursuivre leur combat par la voie politique.
Ce mouvement révolutionnaire créé en 1973 mène une lutte armée de faible intensité contre le gouvernement dans l’objectif d’aider le peuple oromo à accéder à l’autodétermination. A cet égard, il s’agit très certainement du régionalisme le plus fort et médiatique d’Ethiopie.
L’activiste Jawar Mohammed, accusé d’attiser les violences
A l’instar du premier ministre, Jawar Mohammed est issu de la minorité Oromo. Il est devenu l’un des opposants principaux d’Abiy Ahmed après avoir été son conseiller. Dès lors, cette division illustre aujourd’hui les tensions et divisions au sein même de l’ethnie oromo. Véritable défenseur de la cause Oromo, il demande à la fois l’autonomie politique, économique et culturelle de l’Oromia. De plus, fort de sa popularité médiatique, de sa notoriété auprès de la jeunesse et notamment du mouvement qeerroo, il est un personnage très influent.
Par ailleurs, Jawar Mohammed a récemment rejoint le puissant parti du Congrès Fédéraliste Oromo (OFC). Cette décision a été très discutée en Ethiopie à l’approche des élections générales de mai. Jawar Mohammed ne cache en effet pas ses ambitions politiques. Son compte Facebook doté de plus de 1,8 millions d’abonnés est très actif et a la capacité de soulever rapidement la population. Par exemple, en octobre 2019, il a annoncé sur Facebook que les autorités lui avaient retiré ses gardes du corps pour permettre à la foule de l’attaquer. Cette annonce s’est matérialisée en violences extrêmes dans les rues d’Addis Abeba et dans l’Oromia – faisant près de 67 morts.
Elections générales de Mai 2020
Dans les prochains mois, l’Ethiopie va se diriger vers les élections les plus contestées de son histoire. L’issue du scrutin sera déterminante pour l’unité et la stabilité du pays. Cette élection sera également révélatrice de l’identité démocratique ou autocratique de l’Ethiopie. Le régionalisme grandissant sera peut-être l’un des grands vainqueurs de cet événement. En effet, en Oromo, trois grands partis régionaux se sont organisés en une « Coalition pour le fédéralisme démocratique » ; à savoir, le Congrès Fédéraliste Oromo (OFC), le Front de libération oromo (OLF) et le Parti National Oromo (ONP). Cette organisation a aussi annoncé son souhait de s’allier au-delà des frontières de l’Oromia. Actuellement, les nombreux observateurs internationaux scrutent avec intention les événements en Ethiopie avec la profonde inquiétude que cette élection soit entachée de violence et d’anarchie.
Sources :
- Le fédéralisme ethnolinguistique en Éthiopie, Rapport de groupe interparlementaire d’amitié n° 132 – 1er avril 2016
- T. Zitelmann, 1993, « Violence, pouvoir symbolique et mode de représentation des Oromo », Politique africaine, n° 50
- Tensions en Éthiopie autour du sort d’un leader nationaliste oromo – RFI – 23-10-2019
- Éthiopie : Abiy Ahmed, un prix Nobel de la paix controversé – RFI – 09-12-2019