Trump et Netanyahou : les dealers du siècle
Après plus de deux années d’atermoiements, le fameux « deal du siècle » a fini par être dévoilé mardi 28 janvier. Préfiguré par les décisions retentissantes concernant le statut de Jérusalem, l’annexion du Golan et le silence sur la colonisation, sa révélation confirme l’irrespect absolu envers le droit international et les droits humains. Les « dealers » sont respectivement menacés de destitution et de 10 années de prison.
Le « Grand Israël »
La droite messianique israélienne plaide depuis de nombreuses décennies en faveur du « Grand Israël ». Une terre censée s’étendre du « fleuve (Jourdain) à la mer (Méditerranée) ». Ce souhait se double de la caractérisation d’Israël comme État pleinement juif, entendu sans présence palestinienne. C’est à ce rêve qu’à partiellement répondu Jared Kushner, beau-fils du Président États-unien et rédacteur de la « vision pour la paix ».
Reprenant le vocabulaire courant de Benjamin Netanyahou, cette «vision » légalise l’illicite : l’annexion et la colonisation des territoires palestiniens. La Vallée du Jourdain, déjà contrôlée à 94% par Israël, est promise à l’annexion définitive. Selon le « deal », ce geste est motivé par la nécessité pour l’État hébreu de maîtriser la frontière avec la Jordanie. Dans les faits, cette vallée est l’espace le plus riche en ressources naturelles (carrières, agriculture) de la Cisjordanie.
Les quelques 150 colonies implantés en Cisjordanie sont ainsi formellement incluses dans les nouvelles frontières civiles d’Israël. La « vision » octroie formellement le contrôle unique d’Israël sur Jérusalem et en particulier sur l’Esplanade des Mosquées. Ce point particulièrement sensible retire aux musulmans l’exclusivité de la pratique du culte à l’heure des prières quotidiennes. Revenant sur le statu quo réservé à cet espace, les visites de pèlerins juifs hors des heures autorisées sont pourtant déjà sources de tensions récurrentes.
La Palestine encore réduite au centre du deal
En droit international, un État est défini simplement par la réunion de trois éléments : des frontières fixes, une population, une souveraineté. Ces trois éléments sont absents du plan pour l’établissement d’un futur « État » palestinien.
La très décriée « carte conceptuelle » du projet découpe la Palestine en plusieurs petites enclaves territoriales, séparées par des colonies israéliennes et reliées par de futures routes. Il est une prérogative qu’aucun État ne se résout à abandonner : le contrôle de ses frontières. C’est pourtant exactement ce que prévoit la « vision ». Les frontières du futur État palestinien seraient sous contrôle exclusif d’Israël, avec maintien de l’actuel mur de séparation. Ce dernier est par ailleurs déjà jugé illégal par la Cour pénale internationale.
Le plan prévoit en outre l’abandon du « droit au retour » pour les quelques 7 millions de Palestiniens résidant à l’étranger. Descendants des familles expulsées en 1948 et réfugiés majoritairement en Jordanie et au Liban, ces populations vivent dans une grande misère et sont privées de la majorité de leurs droits.
Concernant la souveraineté, le futur État palestinien n’aurait de pouvoir que sur les domaines sur lesquelles celle-ci ne serait pas exercée par Israël. Le domaine de la sécurité est le principal concerné par ce principe nouveau de subsidiarité de la souveraineté. L’accès aux ressources naturelles est également conditionné à accord. En bref, l’État promis sera une simple autorité palestinienne, soumise aux impératifs israéliens. Ce qu’il est déjà.
Les intérêts bien compris entre les signataires du deal
Le principal enseignement de ce « plan de paix » concerne avant tout ses signataires. Les Palestiniens n’ayant pas été conviés, Trump et « Bibi » se sont accordés selon des termes qui leurs conviennent mutuellement. Le moment de la révélation du plan est particulièrement éclairant sur les intentions de ses signataires. Israël court à sa troisième campagne législative en un an et Trump vise sa réélection en pleine procédure d’impeachment.
Netanyahou a fait de ces élections son principal bouclier contre les trois affaires de corruption qui lui valent depuis ce même 28 janvier une mise en examen formelle. Après avoir échoué par deux fois à former un gouvernement, les électeurs sont à nouveau convoqués aux urnes. Pendant ce temps, Benjamin Netanyahou reste reconduit à son poste. La parution du plan lui offre un argument électoral de choix auprès de sa base nationaliste et orthodoxe, la plus désireuse de cette annexion. L’équipe gouvernementale s’est par ailleurs empressée de montrer sa volonté de mettre en place les dispositions les plus avantageuses du plan, avant d’être rattrapée par la réalité.
L’autre signataire, le Président Trump, est lui-même en pleine fuite en avant pour occuper l’espace médiatique national. Ce dernier est saturé par la procédure de destitution à son encontre, malgré les faibles chances que ce procès politique aboutisse. Après une croisade contre l’électroménager, le Président dévoile ainsi son fameux « deal » de paix israélo-arabe. En effet, au-delà des Palestiniens, divers pays arabes sont associés au maintien de la sécurité régionale. Parmi eux, l’Arabie Saoudite, l’Égypte et les Émirats Arabes Unis. Les « dealers » s’associent ainsi en bande organisée pour protéger leurs intérêts propres, sans considérations pour les droits des Palestiniens.
Empêcher la solution à un État
Le rédacteur de ce projet, Jared Kushner, a annoncé vouloir proposer une vision qui soit véritablement attachée à « la réalité sur le terrain ». Une réalité complexe qu’il a su aborder suite à la simple lecture de « 25 livres ». Totalement inexpérimenté en matière de Moyen-Orient et de diplomatie, l’auteur du projet dévoile avant tout l’intention de plaire à l’électorat trumpiste. Cet électorat est proche idéologiquement de la droite israélienne. Pourtant, celle-ci se crispe avec la perspective de devoir reconnaître un futur État palestinien.
Dans sa forme, le plan intervient pour sauver les carrières politiques de ses signataires. Dans le fond, il ne fait que maintenir la situation actuellement existante, voire l’aggraver. Il permet en revanche à Israël de s’exonérer totalement de ses obligations légales en tant que puissance occupante. En ce sens, il permet de laisser la Cisjordanie et Gaza en état de dé-développement, sans avoir à en assumer la responsabilité. C’est là tout l’intérêt de la solution à deux États actuellement prônée.
Aujourd’hui, seule une minorité de Palestiniens soutien cette solution à deux États (42%). Une majorité d’entre-eux la considère désormais comme irréaliste (61%), au vu de cette fameuse « situation sur le terrain ». La vision trumpiste pour la paix entretien ainsi cette fiction selon laquelle la solution à deux États reste possible. Elle révèle tout le paradoxe d’une politique israélienne sur le long terme qui refuse l’application de la solution à un État mais empêche toute action pouvant permettre la coexistence de deux États.