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La tolérance au service de l’image internationale des Emirats arabes unis


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À la suite de sa visite officielle à Abou Dhabi en février 2019, le pape François a déclaré que la forte croissance des Emirats arabes unis durant les dernières décennies a fait de ce territoire « un carrefour entre Orient et Occident, une oasis multi-ethnique et multi-religieuse, et donc un lieu adapté pour promouvoir la culture de la rencontre ». Cette déclaration forte montre la réussite du pouvoir émirien, qui place la tolérance au cœur de sa stratégie d’image internationale.

La tolérance comme élément stratégique de la politique internationale des Emirats arabes unis

Mohammed bin Zayed Al Nahyan
Mohammed bin Zayed Al Nahyan, prince héritier d’Abou Dhabi

Depuis 2016, la tolérance s’est inscrite durablement dans la rhétorique des Emirats arabes unis. C’est en effet à cette date qu’un poste de « ministre d’Etat à la tolérance » a été créé. La visite historique du pape François, entre le 3 et le 5 février 2019, a mis un coup de projecteur sur la politique de tolérance des Emirats. Cette visite historique marquait le premier déplacement d’un souverain pontife dans la péninsule arabique. L’apogée fut la célébration d’une messe devant plus de 120 000 fidèles.
À Abou Dhabi fut également signé le Document sur la fraternité humaine par le pape François et le grand imam d’Al-Azhar, Ahmed Al Tayeb. Les deux hommes déclarèrent « adopter la culture du dialogue comme chemin ; la collaboration commune comme conduite, la connaissance réciproque comme méthode et critère ».

Cet événement fut l’occasion pour les Emirats de s’affirmer internationalement comme « la boussole de la tolérance ». Sky News Arabia rapportait ainsi que « l’acceptation de l’autre est à la base de la culture émirienne ». En septembre 2019, l’annonce du projet de la Maison de la famille d’Abraham renforça cette image de tolérance. D’ici 2022, ce complexe multi-confessionnel réunira à Abou Dhabi une église, une mosquée et une synagogue, afin de promouvoir le dialogue religieux et la coexistence.
Comme le rapporte l’anthropologue Laure Assef, le discours sur la « tolérance » est devenu « non seulement une rhétorique extrêmement prégnante aux Émirats arabes unis, mais aussi un projet politique, social et économique ».



Une tolérance à géométrie variable à bien des égards

Si cette tolérance à l’égard des autres religions est manifeste, elle reste une donnée à géométrie variable. Elle ne concerne ainsi pas les divers courants de l’islam. En 2011, les printemps arabes ont été un élément catalyseur pour le pouvoir émirien. Cette sérieuse menace a poussé les Emirats à éliminer les Frères musulmans et leurs partisans, jugés comme responsables de cette instabilité. Les collectifs et individus affiliés à cette mouvance furent arrêtés et condamnés de manière expéditive à d’importantes peines de prison. Pour les ONG Amnesty International et Human Rights Watch, ces procès pour « subversion », « atteinte à l’unité nationale » ou « propagation de fausses nouvelles » s’apparentent à des parodies de justice.

De même, les opposants politiques libéraux sont écartés et contraints au silence. En 2012, les autorités émiriennes ont fermé les bureaux de Dubaï du National Democratic Institute, qui soutenaient les institutions démocratiques. De la même manière, le défenseur des droits de l’homme Ahmed Mansour a été condamné en mai 2018 à 10 ans de prison.

Mohamed bin Zayed Al Nahyan : figure centrale de la vision politique émirienne

Mohamed bin Zayed Al Nahyan, prince héritier d’Abou Dhabi, joue un rôle prépondérant dans la stratégie internationale émirienne. Il fut au cœur de la campagne de répression à l’égard des Frères musulmans, tout comme il a joué un rôle central dans l’engagement contre l’islamisme radical. Ceci a notamment permis aux Emirats d’être vus par les Etats-Unis comme des partenaires fiables.

Visionnaire, il a participé grandement au développement de l’image de marque des Emirats, basée sur la prospérité économique et l’ultra-sécurité. Sur le plan national, il a travaillé à la modernisation de l’appareil d’Etat et du système éducatif au sein duquel la tolérance tient une place prépondérante.

Comme le rapporte Robert F. Worth : « C’est peut-être l’énigme centrale du mandat de MBZ : c’est un autocrate socialement libéral, et son pays a une apparence différente selon votre position. Si on les compare aux normes des groupes occidentaux de défense des droits humains, les Emirats peuvent facilement ressembler à une colonie d’esclaves hyper-capitaliste dont le chef veut écraser toute dissidence. Quand on les compare à la Syrie ou à l’Égypte, ils sont presque un modèle de libéralisme éclairé ».

C’est là la réussite des Emirats : à travers ses initiatives avant-gardistes et modernistes, le pays parvient à s’afficher comme un phare au cœur de l’obscurantisme religieux de la région. L’opinion internationale en vient presque à occulter les atteintes aux droits de l’homme et aux libertés individuelles sur la scène intérieure, mais aussi leur participation active au désastre humanitaire yéménite sur la scène internationale.

Sources :

– « Les Émirats arabes unis misent sur « la tolérance » », La Croix, 2019. URL : https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Emirats-arabes-unis-misent-tolerance-2019-12-14-1201066496

– « Pour Mohamed Ben Zayed, l’autoritarisme est l’avenir du Proche-Orient », Orient XXI, 2020. URL : https://orientxxi.info/magazine/pour-mohamed-ben-zayed-l-autoritarisme-est-l-avenir-du-proche-orient,3578

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Xavier BERNAUD

Etudiant en défense, sécurité et gestion à l'IRIS SUP', spécialisé sur les problématiques de sécurité internationale liées à la région du Moyen-Orient.

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