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Quelle soutenabilité pour la société moderne ? [2/4] Chapitre II : Des liens sociaux nouveaux

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Développement durable, résilience, transition énergétique… Autant de termes et concepts de plus en plus présents dans le champ lexical de nos contemporains. Des vœux pieux plus que des constats, tant notre société est structurellement aux antipodes de ces paradigmes.

Cette série intitulée « Quelle soutenabilité pour la société moderne ? » traitera ce sujet au travers de quatre articles. Le premier sera consacré aux conditions matérielles, le deuxième aux nouveaux liens sociaux, le troisième à la structuration psychologique des individus, et enfin le quatrième aux enjeux énergétiques.

Chapitre I : Des conditions matérielles d’existence vulnérables

Chapitre III : La dépendance psychologique à la réalité matérielle actuelle

Cette série d’articles n’est pas prescriptrice. Elle a pour vocation l’identification des points de blocages et les injonctions contradictoires de nos sociétés faces aux enjeux de demain. Cette rapide synthèse a pour humble ambition de fournir à chaque citoyen les informations nécessaires à la structuration de solutions cohérentes et fonctionnelles.

Chapitre II : Les nouveaux liens sociaux face à la continuité d’activité des secteurs essentiels

Les nouveaux liens sociaux de nos société sont-ils adaptés à des conditions matérielles modifiées ? Quel est sa résilience face aux crises ?

Les liens sociaux ont beaucoup évolué en conséquence des bouleversements de nos conditions de vie, évoqués jusqu’ici.  Ils ne reposent plus sur les mêmes fondements aujourd’hui qu’autrefois.

Le collectif n’a donc plus le même poids sur la vie et l’imaginaire des individus. « La bouche à nourrir » n’est plus un concept valide, car la part de chacun dans la survie du groupe n’a plus la même importance, nous l’avons vu. Dans ce contexte, les individus ne se sentent plus autant redevables et comptables les uns des autres. Les liens sociaux ne sont plus prédéterminés et nécessaires, mais choisis.

Le regroupement choisi des individus avec d’autres personnes autour de leurs centres d’intérêts personnels modifie la structure du capital social.

Le Capital social correspond au niveau de confiance et de coopération des individus au sein d'un groupe donné.
Le Capital social correspond au niveau de confiance et de coopération des individus au sein d’un groupe donné.

Un capital social articulé différemment

Le capital social, tel que défini par Robert Putnam , est l’ensemble des « caractéristiques de l’organisation sociale telle que les réseaux, les normes, et la confiance qui facilitent la coordination et la coopération pour un bénéfice mutuel.« . La confiance et la coopération entre les individus se mesurent par la force de ce capital social. Il n’y a pas de société sans lui.

Les individus l’articulait autrefois sur deux plans. L’un dans le cadre de communautés réelles, à savoir la famille et le village. L’autre au travers d’une communauté imaginée , la patrie, à échelle nationale.

La communauté réelle est composée d’individus se connaissant tous. Ils partagent des lieux de vie, des coutumes ou encore des liens familiaux. Le capital social y est donc très puissant. La communauté imaginée (ici nationale), quant à elle, est définie par Benedict Anderson comme une communauté réunissant des gens qui ne se connaissent pas et qui ne se croiseront jamais mais qui éprouvent un fort sentiment d’appartenance à une communauté nationale.

La communauté réelle (la famille, la tribu, le village) a toujours existé, et s’est vue adjoindre avec le temps la communauté imaginée (religions puis nations). Une alliance entre le capital social inhérent au petit groupe d’individus et la puissance technologique et logistique des grands ensembles comme les nations s’est donc opérée. Les deux s’imbriquant et se complétant.

Si les soldats de la Grande Guerre ont tenu dans l’enfer des tranchés, c’est certes en partie par peur du peloton d’exécution, mais aussi par intériorisation de ces éléments sociétaux. Défendre sa nation, c’était se battre pour sa famille élargie, et par voie de conséquence pour sa famille stricto sensu. Dans ces deux communautés, l’individu est comptable vis-à-vis du collectif. Son appartenance passe par son apport et sa fidélité au groupe. Toute action individualiste et préjudiciable est donc sévèrement condamnée.

Des rapports sociaux adaptés seulement à nos conditions matérielles actuelles

Les processus d’individualisation et d’ »archipélisation » à l’œuvre dans l’ensemble des sociétés occidentales ont bouleversé cet état de fait. L’horizontalité est de plus en plus commune en entreprise, l’originalité de plus en plus recherchée, les spécifiés de chacune de plus en plus prises en compte.

On a, par exemple, constaté une explosion de la diversité dans la graphie des prénoms. Touchant l’ensemble des catégories de la population française, cet indicateur permet de constater le renversement des rapports entre l’individu et la société. Avoir un prénom rare est recherché, alors qu’auparavant il fallait au contraire se fondre dans le collectif.

Cet habitus psychologique issu de nos conditions matérielles est cependant une vulnérabilité de plus en cas de dégradation de ces dernières. La structuration psychologique de chacun ainsi que nos savoirs individuels sont adaptés à notre monde actuel, pas à d’autres conditions de vie. Un bouleversement trop brutal dû à un effet domino ne permettrait pas d’adaptation psychologique, et pourrait laisser beaucoup de personnes en état de sidération.

Le mode de vie moderne, garanti par le travail d’individus au profit d’un collectif

Or, un trop grand effondrement du corps social menace les activités essentielles. Tous les scénarios de crise sont bâtis sur l’infaillibilité des opérateurs exerçant dans les secteurs indispensables (agroalimentaire, transport, sanitaire, énergie, sécurité).

Le dévouement et le sacrifice de ces opérateurs, formidablement illustrés par la crise du COVID-19, a malgré tout ses limites. Les opérateurs remplissent leur devoir envers la société tant qu’il y a société. En cas de trop grande désagrégation, les opérateurs redeviennent des individus aux enjeux individuels et familiaux. Le comportement des forces de police lors de l’effondrement de la Yougoslavie en est un bon exemple. En plus de ne plus remplir leur rôle, les policiers se sont en partie transformés en mafieux, profitant d’être du bon côté du canon. De rares, mais malheureux, exemples de détournement de masques par des personnels sanitaires ont déjà été constaté dans la crise sanitaire actuelle.

Il y a donc un lien très direct entre la cohésion d’une société et son niveau de vie matériel. Les conséquences d’une rupture de la chaine d’alimentation en nourriture ou en énergie seront abordé dans les chapitres III et IV de cette série.

Ressources Bibliographiques :

ANDERSON, Benedict, L’imaginaire national : réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, 1983, Paris, La Découverte

FOURQUET, Jérome, L’archipel Français, 2019, Le Seuil

PUTNAM, Robert, « The rosperous community, social capital and public life », The American Prospect, n°13, printemps 1993

Le Monde, « L’Archipel français » : une nation multiple et divisée, 29 mars 2019

L’Histoire, « Pourquoi les Yougoslaves se sont entretués« , juillet-aout 2006

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Charles SIROUX

Travaillant dans la gestion de risque et de crise, il est diplômé d'un M2 en géopolitique et prospective à l'IRIS. Ses thèmes de prédilection sont les enjeux sécuritaires, énergétiques et d'influence, ainsi que les tendances historiques.

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