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Peut-on parler d’un retour de la Russie en Afrique ?

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Le premier sommet « Russie – Afrique » s’est tenu à Sotchi il y a tout juste un an.  Il a rassemblé les représentants de 54 États africains. S’inspirant des forums « Chine – Afrique », cette rencontre qui doit se tenir tous les 3 ans, a permis à Vladimir Poutine d’annoncer ses ambitions à l’égard de l’Afrique. Il a promis une coopération sans ingérence « politique ou autre ». Il a affiché des priorités telle que « la technologie nucléaire au service du développement de l’Afrique » ou l’objectif de doubler en 5 ans les échanges commerciaux. Dans ce contexte qui semble marquer le retour de la Russie en Afrique, quelles sont les ambitions de Moscou ?      

Vladimir Poutine est les dirigeants africains
L’enthousiasme manifeste des participants au sommet « Russie – Afrique » de Sotchi

Une présence récente et discontinue

Les dirigeants soviétiques se sont intéressés à l’Afrique à partir de la Conférence de Bandung en 1955. Au fur et à mesure des indépendances, l’URSS va prendre pied sur le continent. Elle y installera de solides relais en soutenant les mouvements de libération nationale et en formant de nombreux africains. A partir des années 1980, Mikael Gorbatchev engage un retrait russe du continent et les relations sont progressivement rompues. Ce n’est qu’à partir du second mandat de Vladimir Poutine que la Russie renoue avec l’Afrique. Il s’y rend en 2006 et réactive une diplomatie avec les anciens pays amis. Le tournant véritable s’opère en 2014, quand face aux sanctions internationales, la Russie recherche des partenariats alternatifs et s’intéresse de nouveau vraiment à l’Afrique.

Trois domaines de prédilection

Ce retour repose d’abord sur la vente de biens et services dans le domaine sécuritaire. L’Algérie est le premier pays où la Russie est revenue en 2006 en effaçant la dette en échange d’un contrat d’armement. Par la suite, entre 2010 et 2017, sept accords de coopération sécuritaire seront signés avec des pays africains, avec une accélération depuis 2017 (vingt nouveaux). La Russie est ainsi le premier exportateur d’armes en Afrique avec 28% des parts de marché (49% au Maghreb) sur la période 2014 – 2018. Les formateurs russes, militaires ou civils, sont présents un peu partout. La célèbre compagnie de mercenaires « SMP Wagner » « interviendrait » sur de nombreuses zones de tensions (Libye, RDC, Soudan…). En Afrique subsaharienne, la Russie s’est d’abord introduite par le Soudan en signant des accords de sécurité. Elle a obtenu la levée de l’embargo des Nations unies sur les livraisons d’armes à la République centrafricaine et a ainsi pu s’y implanter en 2017.  Et une coopération militaire existe avec de plus en plus d’États : Botswana, Zimbabwe, Zambie, Mozambique, Lesotho, Tanzanie, Rwanda…

Moscou investit aussi dans le secteur de l’extraction minière. La stratégie russe est soutenue par la présence d’entreprises minières majeures telles que Alrosa, Rusal, Norilsk Nickel ou Nordgold qui sont présentes en RDC, Guinée, Afrique du sud, Angola, Soudan ou encore à Madagascar. Elles y investissent dans la prospection de multiples minerais dont les terres rares.

Enfin, La Russie accompagne le développement du secteur énergétique africain. Elle s’appuie là aussi sur la puissance de ses consortiums nationaux. En 2008, Vladimir Poutine a annulé la dette de la Libye contre des facilités d’installation pour la société Gazprom. En 2012 et 2015, Le Caire et Moscou ont conclu de nombreux accords pétroliers et gaziers.  Gazprom est présent dans le Sahara, Rosneft en Afrique du nord, Lukoil prospecte de nouveaux champs pétroliers au Nigeria, Cameroun et au Ghana. En décembre 2017, Abdel Fattah al-Sissi et Vladimir Poutine ont signé un nouvel accord de coopération pour la construction par Rosatom de la première centrale nucléaire égyptienne. Des coopérations sur le plan nucléaire existent aussi avec l’Algérie ou le Rwanda.

De nombreux atouts

La Russie n’a pas de passé colonial en Afrique. Elle dispose d’une image plutôt positive en raison de l’aide apportée à certains pays pendant les guerres d’indépendance puis pour s’émanciper de la tutelle occidentale.

Vladimir Poutine met en avant des « relations d’égal à égal ». Il argumente sur le fait que son pays a besoin du continent africain pour son développement économique. Celui-ci n’affiche pas la prétention de « développer l’Afrique » ou d’imposer des règles de « bonne gouvernance » : Moscou est peu regardante en termes de transparence et de corruption. Enfin, la Russie est moins considérée que d’autres comme un pays « pilleur de matières premières » car elle en possède beaucoup.

Offrant au continent une opportunité de diversifier ses partenaires, la Russie se pose en alternative aux pays occidentaux et aux grands émergents (Chine, Inde). C’est notamment vrai dans le secteur agricole : La Russie exporte de plus en plus de blé vers le continent. Elle met à disposition ses éléments de « soft power » (médias, enseignement…) pour défendre les valeurs nationales vis-à-vis des influences étrangères. Enfin, face à une Chine très offensive qui commence à se heurter à l’hostilité de certains pays, la Russie peut constituer un partenaire crédible pour une émancipation du continent.

Un retour à relativiser

La Russie monte dans un train déjà lancé à vive allure. Sa présence en Afrique est très faible comparée à l’influence des anciennes puissances coloniales ou à celle de la Chine. La Russie s’est appuyée pour son retour sur ses pays « amis ». De même, elle compte sur ses relations avec de vieux dirigeants et cadres politiques formés à Moscou et russophones. Il n’est pas certain que la nouvelle génération de dirigeants aura la même attirance vis-à-vis de la Fédération de Russie. Celle-ci n’a aujourd’hui ni l’idéologie et ni l’attrait de l’ancienne URSS.

Malgré leur forte croissance, les échanges commerciaux entre la Russie et le continent qui se sont élevés à 20 milliards de $ en 2018 sont faibles comparés aux 204 milliards de la Chine. De plus, l’Afrique du nord représente 80% de ces échanges. L’approche russe est donc loin d’être globalisée à l’ensemble du continent.

Enfin, la Russie n’a pas les moyens financiers de la Chine. Ses ambitions semblent davantage portées par des objectifs géopolitiques qu’économiques. Elle montre une volonté de s’implanter afin d’occuper une place laissée vacante par les occidentaux dans de nombreux pays. Moscou a compris les besoins en matière sécuritaire : Elle valorise ses atouts dans ce domaine afin d’étendre son influence. Le retour de la Russie est donc indéniable mais il est à nuancer. Il ne représente pas encore une menace importante pour les grandes puissances présentes en Afrique.

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Marie-Christine BIDAULT

Marie-Christine Bidault est étudiante en journalisme à l'ESJ Paris. Par ailleurs Analyste en stratégies internationales (IRIS Sup') et Ingénieur en agriculture (ISARA Lyon), elle s'intéresse fortement aux questions de géopolitiques environnementale, agricole et alimentaire, avec un intérêt particulier pour les politiques américaines.

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