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Décès du président Déby: vers une transition délicate au Tchad et au Sahel ?

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Au pouvoir depuis 1990 et un coup d’état perpétré contre Hissène Habré, le président tchadien Idriss Déby Itno est décédé mardi 20 avril des suites de blessures causées au front, lors d’affrontements contre le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT). Cette disparition inattendue ouvre une période de transition tant au Tchad qu’au Sahel.

Décès du président Déby, une transition délicate au Tchad et au Sahel
Le décès du président Déby ouvre une période de transition délicate au Tchad et au Sahel.

Son décès intervient au lendemain de la proclamation officielle des résultats de l’élection présidentielle tenue le 11 avril. La Commission électorale nationale indépendante l’avait crédité de 79,32% des suffrages, ce qui lui conférait la possibilité d’entamer un sixième mandat. Idriss Déby laisse derrière lui un pays fortement endetté auprès du Fonds monétaire international et de créanciers privés, malgré des ressources naturelles abondantes (or, pétrole).

Une transition anticonstitutionnelle ?

La Constitution tchadienne, adoptée en 2018 et révisée en 2020, prévoit, en son article 82, qu’en cas de vacance de la Présidence de la République, les attributions de ce dernier sont provisoirement exercées par le Président du Sénat. Or, il convient de constater que la réalité est tout autre.

En effet, un conseil militaire de transition (CMT) s’est imposé, avec à sa tête Mahamat Idriss Déby, le fils du président défunt. Le CMT s’est doté d’une Charte de transition, qui remplace la Constitution en vigueur. Ce CMT se compose de quatorze généraux et prévoit, notamment, un conseil national de transition ainsi qu’un gouvernement de transition. Toutefois, l’essentiel des pouvoirs se retrouve entre les mains du président du CMT, qui occupe « les fonctions de Président de la République, de Chef de l’Etat et de Chef suprême des armées » [1]. De plus, il nomme tous les membres des autres instances du pouvoir.

Enfin, la durée de la période de transition est de dix-huit mois, qui peut être prorogée une seule fois [2].

Une forte opposition au CMT

Il est intéressant de noter que de tels conseils de transition, dominés par les militaires au détriment des autorités civiles, ont également vu le jour au Burkina Faso en 2014 et au Mali en 2020. Tant les membres de la société civile que l’opposition ont dénoncé cet état de fait. Les uns réclament une transition civile et un dialogue inclusif, les autres évoquent « un coup de force militaire » [3] ou « un coup d’état institutionnel » [3].

Les militaires au pouvoir, quant à eux, arguent que la situation sécuritaire du pays justifie la création de ce CMT. Pourtant, au sein même de l’armée, des dissidences se font jour. Certains généraux mettent un avant le rôle de soutien du peuple que l’armée devrait avoir. De plus, ils appellent au respect de l’ordre constitutionnel.

Une armée tchadienne aguerrie

Le président Déby a toujours pu compter sur une armée solide, nombreuse en effectifs et bien formée, pour protéger les frontières tchadiennes et se projeter. La Libye au nord, le Soudan à l’est, la République Centrafricaine au sud et le Niger et le Mali à l’ouest, constituaient des défis sécuritaires, notamment vis-à-vis de la menace terroriste. Les présences de Boko Haram autour du lac Tchad, de l’Etat islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) notamment, dans le Sahel et dans le Sahara, en témoignent.

Le Tchad est un pilier de la stratégie visant à lutter contre ces groupes terroristes. Il participe à la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations-Unies pour la stabilisation du Mali (MINUSMA) dès 2013. Et il est un allié décisif du G5 Sahel depuis 2014, étant le plus grand contributeur en effectif.

Un allié de poids dans la stratégie française au Sahel

Ces nombreuses interventions contre les groupes terroristes ont valu au président Déby de précieux soutiens, dont celui de la France. Celle-ci s’est engagée, dès 2014, aux côtés des Etats du G5 Sahel, dans le cadre de l’opération Barkhane. La capitale tchadienne, N’Djamena, accueille même le centre opérationnel interarmées de l’opération. Le Tchad devait déployer plus de mille soldats dans la zone des « trois frontières » [4], ce qui aurait permis aux forces françaises de diminuer leur engagement, comme convenu lors du sommet de N’Djamena en février 2021.

Mais le décès brutal du président Déby et la transition du CMT marquent le début d’une période d’instabilité. L’Elysée, dans un communiqué, « prend acte » de l’annonce du CMT et l’Ambassadeur de France au Tchad, Bertrand Cochéry, a été reçu par le président du CMT le 21 avril. Emmanuel Macron s’est rendu à N’Djamena le 23 avril pour les obsèques d’Idriss Déby.

Tant à l’intérieur de ses frontières que dans le Sahel, le Tchad est confronté à un changement majeur. Les craintes d’une partie de la population se font entendre face à la prise de pouvoir des militaires. Enfin, la stratégie française, qui prévoyait un retrait progressif de Barkhane et la montée en puissance conjointe de la force européenne Takuba et des armées sahéliennes, se voit être ralentie, dans ce climat d’incertitude.

Sources :

[1] Article 37 Charte de transition.

[2] Article 97 Charte de transition.

[3] Tchad : appels à une transition civile | Afrique | DW | 21.04.2021

[4] Frontières du Mali, du Burkina Faso et du Niger.

Mort d’Idriss Déby: la France perd un partenaire incontournable au Sahel (rfi.fr)

Tchad : qui est Mahamat Idriss Déby, fils d’Idriss Déby et patron de la transition ? – Jeune Afrique

Les défis de l’armée tchadienne | Crisis Group

Tchad : Idriss Déby Itno, le chef de guerre devenu « gendarme du Sahel » (france24.com)

Idriss Déby Itno, le maréchal guerrier n’est plus | Africanews

Tchad : le décès du président Idriss Déby risque-t-il de déstabiliser un peu plus la région ? | IRIS (iris-france.org)

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Cédric GOUDEAGBE

est diplômé d'un Master 2 en droit public, mention défense et sécurité. Intéressé par les relations internationales, les questions de défense et l'Afrique.

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