L’or au Sahel : une opportunité menaçante ? (1/2)
Le Sahel est historiquement une zone d’échange et de communication entre le Maghreb et l’Afrique subsaharienne. De nombreux biens s’y échangent, notamment l’or depuis plusieurs siècles. Si le poids économique de cette ressource a toujours représenté un facteur certain dans la région, les années 2010 ont conduit à la découverte de nouvelles exploitations aurifères. En 1990 la production d’or régionale représentait 17 tonnes. En 2019 elle est passée à plus de 60 tonnes. Une aubaine économique, quand l’once d’or est passée d’environ 300 dollars en 2000 à 2000 dollars en 2020.
Néanmoins l’exploitation de cette ressource est souvent mal réglementée et souffre d’un manque de contrôle. Enjeu régional, cette ressource attire des groupes illégaux qui tentent d’en prendre le contrôle. Les groupes terroristes, acteurs majeurs de la crise sécuritaire régionale, usent de cette source à des fins de financement, pour renforcer leurs capacités, se développer et mener des attaques, déstabilisant plus encore la région.
L’or comme opportunité économique du Sahel
L’histoire aurifère du Sahel remonte aux empires médiévaux, implémentant le rôle central de l’or dans cette région. Aujourd’hui, avec des gisements aurifères significatifs découverts autour de 2010, des pays sont devenus des acteurs clés sur la scène mondiale de l’or. Le Burkina Faso est par exemple devenu le 3ème pays aurifère au monde. L’or y pèse à hauteur de 14,3 % dans les recettes de l’État. Le Mali a de son côté vendu pour 3,4 milliards de dollars en 2022. Au Soudan, dans la même année, 42 tonnes d’or se sont exportées, pour un total de 2,5 milliards de revenus. Néanmoins l’exploitation reste, sur l’ensemble du Sahel, globalement dérégulée. Elle est pratiquée en dehors du contrôle des États, dans des modèles artisanaux. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), l’orpaillage artisanal au Sahel rapportait plus de 2 milliards de revenus annuels.
Au-delà de la manne financière, c’est également sur le plan de la démographie et de l’emploi que le secteur représente un enjeu certain. Avec plus de 2 millions de civils impliqués dans l’orpaillage artisanal, le bassin de travail est conséquent. Ceci d’autant plus que la population régionale, estimé à 181 millions d’habitants, devrait évoluer, selon les estimations, à des niveaux entre 370 et 415 millions d’habitants pour 2045. Avec une moyenne d’âge qui reste jeune, le secteur aurifère tient des promesses de stabilisation et d’opportunités économiques, dans une région considérée comme l’une des plus pauvres au monde, selon les indicateurs mondiaux.
Face à l’opportunité économique, des travailleurs s’engagent dans cette filière, malgré le manque de sécurité que peuvent apporter les États. Particulièrement rentables, les mines n’attirent toutefois pas que des travailleurs. Elles se trouvent au centre d’enjeux de pouvoirs territoriaux, entre États, civils et groupes terroristes.
Le contrôle minier par les groupes terroristes
Si les groupes jihadistes ont su exploiter les caractéristiques de la région sahélienne pour s’y implanter durablement, avec ses frontières poreuses, ils ont également appris à exploiter l’or en tant que ressource pour développer leurs stratégies locales.
Au départ centrée sur le Mali, la question de l’or et du djihadisme s’est étendue progressivement à l’ensemble du Sahel. Une stratégie particulièrement visible aujourd’hui, dès lors que l’on superpose l’implantation géographique de mines artisanales avec l’activité des groupes armés. Les actions violentes des groupes se localisant souvent dans les 25kms autour d’une zone d’extraction.
Véritables enjeux de pouvoir locaux, on peut voir différentes stratégies de la part des groupes jihadistes autour des mines aurifères. Si certains se concentrent sur l’embuscade et le racket de mineurs, d’autres tels que la Coordination des Mouvements de l’Azawad ou encore Jama’at Nusrat al-Islam contrôlent des sites d’extraction d’or dans la région de Kidal et y assure la sécurité des mineurs.
Une fois conquises, les mines servent plusieurs rôles. Elles peuvent assurer un soutien financier au travers d’une forme de prélèvement religieusement justifié, la « zakat ». Ce soutien peut également se traduire par un prélèvement direct sur l’or extrait. Mais les mines remplissent également une fonction de sanctuarisation des groupes, d’obtention d’explosifs et de support à la planification d’attaques. Enfin, dû à l’opportunité économique qu’elles représentent pour les populations civiles, les mines permettent également d’attirer de jeunes travailleurs, malgré l’insécurité de ces endroits. Elles permettent ainsi un bassin de recrutement pour les groupes terroristes et des zones d’expansion d’influence pour les discours idéologiques.
Une réponse sécuritaire impérieuse
Loin d’être anecdotique, les activités des groupes terroristes, dont le trafic d’or, contribuent à l’instabilité de la région. Elles menacent la paix et entravent le développement économique et social régional.
Dans un contexte de recomposition géopolitique et de renouvellement d’alliances, les États sahéliens ont dû se tourner vers des acteurs à même de les épauler sur le plan sécuritaire. Impliquée régionalement de façon historique, la France a dû céder sa place sur ces questions, permettant à de nouveaux acteurs, dont la Russie et la Chine, de s’implanter dans la région.