Élections tunisiennes : la prévisible victoire de Kaïs Saïed
Le 6 octobre dernier, les Tunisiens se sont rendus aux urnes pour élire leur président. Les résultats annoncés étaient, sans grand étonnement, en faveur de Kaïs Saïed, au pouvoir depuis 2019. Responsable d’un coup d’État en 2021, son pouvoir ne cesse de se renforcer depuis. Les résultats de l’élection le donnent vainqueur avec près de 90,69 % des voix, mais avec le vote de seulement 2,7 millions d’électeurs, soit 28,8 % du corps électoral. Seuls 6 % des 18-25 ans se sont déplacés. Des chiffres bien inférieurs à ceux du premier tour de la présidentielle de 2019, qui comptait 49 % de participation.
Un contexte électoral tendu
Néanmoins, des manifestations importantes ont eu lieu quelques jours avant le scrutin, dénonçant l’absence d’adversaires sérieux. En effet, il n’y a eu aucune affiche électorale ou meetings. Les potentiels candidats ont fait face à de nombreuses difficultés. Ainsi, l’ancienne députée Abir Moussi avait candidaté, bien qu’incarcérée pour avoir critiqué le processus législatif et déposé des recours contre des décrets du gouvernement. Elle est accusée de faits graves, dont celui « d’attentat ayant pour but de changer la forme du gouvernement ». D’autres figures de l’opposition et candidats ont également été inquiétés comme Ayachi Zammel, condamné à douze années de prison ferme. Il a finalement obtenu 7,35 % des voix.
Les conditions de candidature étaient drastiques, nécessitant la collecte de 10 000 signatures, réparties dans diverses circonscriptions. Chaque candidat devait sinon obtenir le soutien de 40 présidents de collectivités locales ou de 10 parlementaires. Les délais étaient également très restreints, les conditions pour être candidat ayant été précisées seulement trois mois avant le scrutin. L’ensemble de ces éléments explique qu’aucune opposition sérieuse n’ait pu être représentée.
Un climat de paranoïa complotiste et d’attaques envers la démocratie
Si cette victoire était aussi assurée, c’est aussi parce que le président Kaïd Saïed a tout fait pour renforcer son emprise sur les institutions. Pour ce faire, il fit procéder, dès 2022, à une révision de la Constitution. Il dissolut le Conseil supérieur de la magistrature et put gouverner par décrets, lui permettant par exemple de révoquer de nombreux magistrats.
Les médias ont également été mis au pas. Le pays chute de 21 places au classement de Reporters sans frontières entre 2022 et 2023. Législativement, le décret 54, contre la “diffusion de fausses informations”, a permis de procéder à de nombreuses arrestations de journalistes et de membres de la société civile.
Rien qu’en septembre dernier, l’avocate Sonia Dahmani a été condamnée à huit mois ferme pour une réplique jugée insolente par le gouvernement. Elle critiquait la politique présidentielle, en direct sur un plateau télévisé.
Le président est également très partisan des théories complotistes. Elles lui permettent d’ »expliquer » les difficultés persistantes du pays. L’inflation liée aux denrées alimentaires serait ainsi liée à des ennemis de l’État cachant des stocks de nourriture. La crise migratoire serait, quant à elle, liée à une organisation criminelle souhaitant changer la “composition démographique du pays”
Kaïs Saïed reste pourtant très soutenu par une partie de la population tunisienne pour sa politique nationaliste.
Les résultats et conditions de cette élection n’ont pour l’instant pas été beaucoup commentés par les institutions européennes ou les pays européens. L’accord signé le 16 juillet 2023 entre l’Union européenne et la Tunisie concernant, notamment, l’immigration irrégulière, ralentit peut-être une prise de position. Cet accord annonce pourtant de nouveaux enjeux importants entre les deux protagonistes, y compris concernant les droits de l’Homme.
Ainsi, l‘issue de ce nouveau mandat sera cruciale pour la Tunisie. Le président devra naviguer entre les attentes croissantes de ses concitoyens et les défis complexes auxquels le pays est confronté.