Kiobel v. Royal Dutch Petroleum ou la fin de la juridiction universelle aux Etats-Unis
En statuant à l’unanimité dans l’affaire Kiobel v. Royal Dutch Petroleum il y a quelques mois, la Cour Suprême américaine a considérablement réduit la portée de l’Alien Tort Statute de 1789 et a ainsi mis fin à trois décennies de « juridiction universelle » des Etats-Unis en matière de Droits de l’Homme. Quelles sont les implications de cette décision pour le droit humanitaire international ?
L’Alien Tort Statute de 1789 est sans aucun doute un ovni du droit international. Rédigé avec le Federal Judiciary Act de 1789 qui fonda le système judiciaire des tous jeunes Etats-Unis d’Amérique, il stipule que : “The districts courts shall have original jurisdiction of any civil action by an alien for a tort only, committed in violation of the law of nations or a treaty of the United States”. Plus ou moins oublié – en tout cas très peu utilisé – pendant deux siècles, l’Alien Tort Statute acquit soudain une importance extrême en droit international suite au jugement Filartiga v. Pena-Irala de 1980 : il fut en effet invoqué pour justifier que soit jugé aux Etats-Unis un non-citoyen américain – le chef de la police péruvienne Pena-Irala – pour des crimes contre les Droits de l’Homme commis hors des Etats-Unis – des actes de torture commis au Pérou – contre un non-citoyen américain. De simple édit du XVIIIème siècle censé aider la lutte contre la piraterie au large des côtes des jeunes Etats-Unis d’Amérique, l’Alien Tort Statute devint ainsi le fondement d’une juridiction universelle des cours américaines en matière de droit humanitaire international, interprétation fortement appuyée à l’époque par une administration Carter qui y voyait un atout certain en politique étrangère.
Cependant beaucoup de critiques s’élevèrent aux Etats-Unis et dans le monde contre l’amplitude exorbitante de l’Alien Tort Statute et sur le pouvoir disproportionné qu’il accordait aux cours américaines pour l’application du droit humanitaire international.
Après une première restriction de l’Alien Tort Statute par la Cour Suprême en 2004 dans l’affaire Sosa v. Alvarez-Machain, en avril 2013 les « Justices » américains ont donc statué qu’il ne pouvait plus être appliqué pour des faits commis en dehors des Etats-Unis. Ce retournement met fin à un instrument juridique qui permettait à la fois de donner la parole à des victimes de droit humanitaire qui n’étaient pas reconnues comme telles dans leur pays d’origine et de mettre fin à une culture d’impunité qui prévalait surtout dans les ex-dictatures d’Amérique Latine envers d’anciens cadres politiques. Cependant, la juridiction universelle était peu à peu devenue une épine politique dans le pied des présidents américains et force est de constater que le contexte judiciaire international a bien évolué depuis Filartiga v. Pena-Irala : ces cas, qui n’étaient jugés aux Etats-Unis qu’au civil et ne donnaient lieu qu’à des réparations financières, devront maintenant paraître là où est leur vraie place au XXIème siècle, à savoir devant les tribunaux régionaux dédiés comme la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme ou, bien sûr, la Cour Pénale Internationale.