Élection de Donald Trump à la tête des États-Unis: un électrochoc pour l’Europe de la défense ?
L’Union européenne a adopté lundi 14 novembre une feuille de route afin de donner un nouvel élan à l’Europe de la défense. Faut-il voir de la part de Bruxelles une simple réaction suite aux résultats de l’élection présidentielle outre-Atlantique ou les lignes européennes sont-elles enfin prêtes à bouger ?
Une fenêtre d’opportunité pour l’Europe de la défense ?
A la sortie d’un entretien avec le président élu Donald Trump le 14 novembre dernier, Barack Obama s’est voulu rassurant quant à la continuité du rôle des Etats-Unis au sein de l’Alliance atlantique. Il n’empêche que les propos tenus par le candidat républicain durant sa campagne ont semé le doute sur les engagements américains vis-à-vis de l’OTAN. Le jour même, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des pays de l’UE se sont accordés sur un texte relatif à la stratégie globale de l’Union dans le domaine de la défense et de la sécurité. Cette « feuille de route » est le fruit d’un travail mené par la Haute Représentante de l’UE pour les Affaires étrangères Federica Mogherini et les 28 États membres depuis plusieurs mois. Elle fait écho à l’adoption par Bruxelles d’une nouvelle stratégie globale, le 28 juin dernier, soit quelques jours après l’épisode du Brexit.
Plus ambitieux sur le fond que ne le laissaient paraitre les entretiens préparatoires, ce projet prévoit une plus forte intégration des capacités des Etats pour mener différentes missions militaires, le renforcement des moyens d’intervention des 28 Etats membres (Opérations de maintien de la paix à travers les « Battle Groups »[1] notamment), un fond d’investissement pour les programmes communs de l’Union européenne et il se donne pour objectif la création d’une structure permanente qui permettrait de mieux planifier les opérations civiles et militaires de l’UE.
Cela étant, il est difficile de savoir si cette avancée est le reflet d’une réelle ambition européenne en matière de défense, ou une simple réaction due aux résultats des élections américaines, quelques mois seulement après l’évènement du Brexit. De plus, cette Europe de la défense n’a de cesse de se heurter à plusieurs obstacles.
La difficile marche en avant d’une Europe de la défense ou le miroir d’une omnipotence des souverainetés nationales
Dans l’esprit des dirigeants étatiques, la défense est avant tout une prérogative régalienne et il est difficile pour un État membre d’accepter de se soumettre à une institution à coloration fédérale dans ce domaine. Les questions de défense et de politique étrangère sont aujourd’hui traitées par des institutions intergouvernementales, en premier lieu le Conseil Européen qui réunit les chefs d’États et de gouvernement, ce qui ne favorise pas une intégration plus forte en matière de défense. La Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC), fer de lance d’une Europe de la défense, n’en est donc que plus limitée.
Les déchirements internes à l’UE ont été mis en avant lors de la guerre en Irak en 2003, puisque la France avait refusé de prendre part au conflit, tout comme l’Allemagne alors que le Royaume-Uni s’était positionné du côté des États-Unis. Plus récemment, le référendum de sortie de la Grande-Bretagne de l’UE a de nouveau mis en lumière les difficultés européennes en matière d’intégration, alors même que la crise des migrants révèle des fissures qui égratignent la légitimité de l’Union européenne. Cela n’aide pas Bruxelles à acquérir suffisamment de crédits qui lui permettraient de profiter d’un transfert de compétences plus conséquent en matière de défense.
L’Alliance atlantique est de son côté une véritable arme diplomatique et militaire sur le continent qui, par ricochet, entretient la faiblesse d’une Europe de la Défense. Cette crédibilité de l’OTAN est due au succès de ses interventions lors de la Guerre en ex-Yougoslavie en 1995, là où les institutions Européennes, tout comme les Nations-Unies, avaient échoué. De plus, il apparaît aujourd’hui difficile de se passer des capacités de dissuasion qu’offre l’OTAN. Cela est notamment visible au niveau des États de l’est membres de l’Alliance atlantique et qui souhaitent conserver cette « protection » nucléaire issu de la stratégie américaine de bouclier antimissiles.
Pourtant, bien des solutions pourraient permettre à l’Europe un réel sursaut en matière de défense, en atteste la volonté des États de s’être réunis pour discuter d’un projet commun et fixer de grandes orientations. L’essentiel pourrait être de s’en tenir à des aspects concrets, c’est-à-dire non pas des objectifs pour le moment irréalisable tels qu’une armée européenne, mais la mise en commun d’outils de coopérations comme les services de renseignements, ou des projets industriels. Ils permettraient une plus grande visibilité de l’UE à la fois sur le continent européen mais aussi sur la scène internationale. Cela peut passer par une mutualisation de programmes de recherche, ou encore l’achat d’équipements de défense par la Commission européenne, qui seraient ainsi mis à disposition des États. Autant de possibilités qui permettraient à l’UE un pas nouveau en direction d’une politique de défense renforcée.
Le projet défini par l’Union européenne pour une plus forte intégration en matière de défense doit désormais être approuvé par les chefs d’États et de gouvernement dans le cadre du sommet européen en décembre prochain. Pour le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, ce plan devra «permettre à l’Europe de franchir un pas de plus vers l’autonomie stratégique », celle-là même qui fait aujourd’hui cruellement défaut à l’Union européenne.
[1] Les « Battle Groups » sont la Force de réaction rapide de l’Union européenne. Instrument de gestion de crise de l’UE dans le cadre de sa Politique de sécurité commune et de défense, ces groupes n’ont encore jamais été utilisé depuis leur création en 2007.