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L’islam politique et l’Occident (2/3) : le cas des Etats-Unis ou les « alliances circonstancielles »

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L’islam politique, mouvement donc nous avons expliqué, à travers deux personnages, la naissance dans l’épisode précédent, est difficile à discerner. En effet, il apparaît à la fois comme rétrograde aux yeux occidentaux sur les sujets sociétaux mais, par son essence révolutionnaire, il est indéniablement inscrit dans la mutation idéologique et politique qui frappe le monde du siècle dernier. De plus, on a remarqué qu’il n’est pas homogène, dès sa naissance, et cette tendance va s’accentuer au fil des décennies. Les différences qu’il existe au sein du mouvement couplées à une présence forte dans une région essentielle aux Occidentaux, Européens et Nord-Américains, ont poussé ces derniers à s’intéresser et se rapprocher de certaines franges du mouvement, c’est ce que nous allons voir à présent.

Cet article n’a aucun but politique, il fait le pari de l’objectivité et essaie d’expliquer la relation entre l’islam politique et l’Occident à travers l’acteur majeur de la fin du XXème siècle, la superpuissance de la guerre froide, et l’hyperpuissance (Hubert Védrine) de la fin des années 1990, époque de l’émergence des théocraties islamistes et des groupes armés jihadistes.

Du Pacte du Quincy à Al-Qaïda, une histoire Américano-saoudienne

Le pacte du Quincy est conclu le 14 février 1945 sur l’USS Quincy entre le président Franklin D. Roosevelt et le premier roi du royaume saoudien, ancien roi du Nejd et du Hedjaz, père du roi actuel, Ibn Saoud. Il signe le début d’une collaboration forte et verticale – on acceptera le terme de vassalité – entre les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite. Les premiers s’engagent à protéger militairement et diplomatiquement les Saoudiens en échange d’une facilitation de l’exploration pétrolière et d’une assurance énergetique, le bail est reconduit en 2005 pour soixante ans.

Ainsi, par ce pacte, les États-Unis s’allient au royaume wahhabite, frange particulièrement extrémiste de l’islam, en échange d’une assurance énergétique. On est bien là sur un « cas d’école » de realpolitik, oblitérant la morale au profit d’un accord militaro-économique qui permet aux Etats-Unis de s’installer, dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, dans une région déjà au cœur des enjeux.

Cette relation perdurera, et ce malgré des tensions, de 1945 à 1973 sur la question israélienne, idée à laquelle Ibn Saoud était farouchement opposé.  Truman outrepassera ce désaccord, certain de la supériorité diplomatique américaine. Ainsi, ravalant leur rage, les saoudiens se maintinrent dans l’accord passé trente ans plus tôt, peut être aussi par crainte de se voir abandonnés dans une région déjà très complexe et tendue. Même le krach boursier venant du choc pétrolier et de la brusque augmentation des prix du pétrole par l’OPEP – le royaume saoudien en tête – n’entamera pas cette alliance dont les intérêts dépassaient la santé économique mondiale. Il sera renforcé six ans plus tard par la révolution islamique iranienne, la puissance chiite revenant au premier plan géopolitique en s’extrayant du giron américain. Cet immense voisin, ennemi d’intérêts et de croyances, fait, depuis lors, trembler le Gardien des Lieux-Saints.

Viennent alors deux conflits majeurs dans la fuite en avant de la relation Occident-islamisme : la guerre Iran-Irak et le conflit Afghan.

Guerre Iran-Irak et conflit Afghan ou le « début des ennuis »

La guerre Iran-Irak débute le 22 septembre 1980 par l’invasion de l’Iran par l’Irak de Saddam, sur fond de litiges frontaliers et de la crainte d’une propagation de l’élan révolutionnaire chiite chez les minorités irakiennes. Il y a aussi un conflit hégémonique pour devenir la première puissance du Golfe Persique.

Face à la crainte du pouvoir chiite, dans une guerre comparée parfois à la Première Guerre mondiale par l’utilisation massive des fantassins et des combats de tranchées, l’Irak, commençant à perdre du terrain à partir de 1982, recevra le soutien des deux superpuissances : les Etats-Unis et l’URSS, bien que cette dernière commençât à améliorer ses relations avec l’Iran dès 1981. Encore une fois les États-Unis se rangent du côté des théocraties wahhabites et plus largement du côté sunnite. La fin de cette guerre sera bien plus complexe car, en plus de rencontres entre officiels américains et iraniens, les États-Unis s’éloignèrent de l’Irak qui utilisait des armes de destruction massive contre les civils iraniens. Le conflit se clôturera sur un statu-quo ante bellum le 20 août 1988.

Avec ce conflit au côté des monarchies wahhabites, il ne restait qu’un pas à faire vers un foyer de la Guerre froide dans la région. Ce fut l’Afghanistan, du 21 décembre 1979 au 15 février 1989, il opposa les soviétiques aux moudjahidin (guerriers saints), islamistes sunnites. C’est là que les États-Unis font le pas qui leur sera fatal dans les liens circonstanciels qui entretinrent avec la mouvance islamiste. En effet, avec l’opération Cyclone de la CIA, et appuyés par les saoudiens qui firent de même, ils dépensèrent environ 3.3 milliards de dollars pour financer la résistance anti-URSS et, à leur tête, Oussama Ben Laden, qui dirigeait ce qui allait devenir en 1987, dans la lignée du Maktab al-Khadamat (Bureau Afghan) d‘Abdallah Azzam, Al Qaïda. La victoire des islamistes, et l’assise Talibane qui s’est installée en Afghanistan a rapidement fait comprendre aux américains qu’ils s’étaient lourdement trompé et cette terrible erreur géostratégique allait se retourner contre eux, puisqu’ils allaient devenir la cible principale de leur ancien allié, Oussama Ben Laden. Cependant, les liens entre l’Arabie Saoudite et le jeune mouvement dirigé par un de leur ressortissant, puis les financements de riches proches du pouvoir au régime du Mollah Omar ne décourageront pas le peuple de Georges Washington de continuer dans la realpolitik à la Kissinger, quitte à perdre le contrôle des dynamiques qu’ils ont créé de toutes pièces.

Nous avons donc vu ici à quel point l’alliance Américano-saoudienne a conditionné la naissance de mouvement jihadistes puissants, tout cela sur fond de guerre froide, de realpolitik, d’hégémonie à tout prix. Ce pacte fondateur, issu de nécessités matérielles de subsistance étatique, est donc un élément important dans la suite de notre réflexion, du 11 septembre 2001 en passant par la guerre de Syrie, les attentats des dernières années et l’inévitable question des perspectives qui s’offrent à nous.

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