Les Mapuches, une menace de déstabilisation régionale sous-estimée ?
Le militantisme mapuche en Patagonie argentine et chilienne déstabilise des États qui se pensaient exempts de velléités sécessionnistes. Cette problématique transnationale révèle les liaisons dangereuses entretenues par ces gouvernements et des firmes multinationales sur la gestion des propriétés terriennes.
Le nom d’Orélie-Antoine Ier n’est pas un nom connu du grand public. Il est pourtant l’une des premières expressions du nationalisme mapuche. Celle-ci est l’œuvre d’Antoine de Tounens, un explorateur français qui s’est auto-proclamé roi d’Araucanie et de Patagonie, à la fin du 19ème siècle. Cette curiosité de l’histoire a néanmoins été de courte durée suite à la répression de la communauté mapuche par les gouvernements argentins et chiliens à travers des « campagnes de pacification ». Actuellement, la communauté compte 1,5 million de personnes réparties entre l’Argentine et le Chili, où elle constitue la plus grande ethnie indigène.
Or, depuis une décennie, cette communauté du nord de la Patagonie réaffirme sa volonté nationaliste de jadis. Celle-ci s’articule autour de deux axes : la reconnaissance des Mapuches en tant que peuple dans la constitution des deux États et la possession de leurs terres ancestrales. Il est intéressant de noter que dans la tradition mapuche, le droit de propriété n’existe pas. Ces derniers se considèrent comme appartenant à la terre et non l’inverse. Par conséquent, il est inconcevable, selon leurs traditions, que certaines portions de leur territoire mythique se convertissent en propriétés privées. Pourtant, les gouvernements argentins et chiliens ont vendu d’immenses parcelles de terre à des entreprises transnationales d’exploitation forestière ou d’élevage. Le groupe italien Benetton, propriétaire de millions d’hectares en Patagonie argentine en est l’exemple le plus flagrant. Les États cèdent souvent à des promesses d’investissements aux revenus juteux dans des régions pauvres et sous-développées.
La structuration de la mobilisation mapuche
Ce décalage, tout comme l’absence de réponses juridiques adéquates des gouvernements pousse les Mapuches à s’orienter vers de nouvelles actions. Ces dernières, jusqu’alors fondées sur des manifestations et des occupations terriennes se radicalisent de plus en plus. Ce changement est l’œuvre de l’organisation transnationale de résistance territoriale Weichan Auka qui a recours à des actions violentes. Ce mouvement a trouvé en son leader, Facundo Jones Huala, un symbole de lutte puisqu’il est considéré comme un prisonnier politique par ses supporters. Soupçonné de terrorisme pour avoir participé en 2013 à l’incendie de 29 camions d’une entreprise forestière chilienne, il est incarcéré pour un motif similaire en Argentine.
La disparition, puis la mort suspecte du militant Santiago Maldonado lors d’une manifestation pro-mapuche en Argentine ont remis sur le devant de la scène une problématique transnationale souvent occultée par les pouvoirs nationaux.
L’Argentine et le Chili collaborent depuis des années pour contrer cette menace sécessionniste, notamment en matière de renseignements. Le Chili a d’ailleurs récemment demandé l’extradition de Jones Huala pour être jugé, ce qui est fortement envisagé par le gouvernement argentin. Pour autant, Santiago et Buenos Aires adoptent des postures antagonistes. La présidente chilienne, Michelle Bachelet, a opté pour une politique d’ouverture vers la communauté indigène Mapuche (la plus grande du pays) par la reconnaissance des méfaits de l’État chilien, la mise en place d’un ministère des peuples indigènes et de restitutions territoriales symboliques. Ceci est néanmoins à nuancer : le Chili dispose de tout un arsenal judiciaire de lois antiterroristes en cas d’envenimement du conflit. De son côté, l’Argentine de Macri se montre beaucoup plus réticente à toute politique d’ouverture, se contentant de suivre les avis de la justice. Elle est soucieuse de restaurer la confiance des investisseurs après l’ère protectionniste Kirchner. Cela contribue grandement à alimenter et entretenir les tensions, notamment en Patagonie argentine. L’issue de cette discorde culturelle, politique et économique semble donc de plus en plus incertaine, d’autant plus que les Mapuches recherchent à terme une reconnaissance comme nation autonome.