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Colombie : le retour de la guérilla des FARC ? (2/2)

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Créées en 1964, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie – Armée du Peuple (FARC-EP, Fuerzas armadas revolucionarias de Colombia – Ejército del Pueblo en espagnol) était une guérilla communiste impliquée dans le conflit colombien jusqu’à la signature d’un accord de paix en 2016. Depuis, les guérilleros ont été démobilisés. Face à ce qu’il nomme l’inaction étatique dans la mise en œuvre des dispositions de l’accord, un ancien commandant a appelé au retour à la clandestinité et à la reprise des armes. Quelles sont les raisons de ce regain de violence ? Faut-il craindre le retour à l’insurrection généralisée ? Quel rôle le Venezuela joue-t-il dans la mobilisation des dissidents des FARC et de la dernière guérilla active, l’ELN ? Explications en deux volets.

L'ELN, la dernière guérilla active des Amériques
Les FARC dissidents tentent de s’allier avec l’ELN, la dernière guérilla active des Amériques.

Recomposition du (des) conflit(s) armé(s)

Si le niveau général de violence dans le pays a diminué, il n’a pas disparu. L’on assiste à la recomposition des groupes armés illégaux. Les zones rurales, autrefois dominées par les FARC, sont aujourd’hui sous le contrôle territorial d’autres groupes armés illégaux. Paramilitaires, dissidents des FARC, ELN ou groupes liés au narcotrafic y prospèrent. La politique de substitution des cultures de coca est un échec. Le gouvernement a réduit les fonds alloués à cette tâche. L’on a assisté à une expansion des cultures, de 80 000 hectares en 2015 à 200 000 hectares en 2018.

Le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) estime qu’il existe encore cinq conflits armés dans le pays. La reprise des combats dans de nombreuses régions aurait entraîné le déplacement de 210 000 personnes. On dénombrerait aujourd’hui 8000 combattants armées. 3000 d’entre eux proviendraient de bandes criminelles et du narcotrafic – dont le Clan del Golfo qui prolifère en Colombie. À cela s’ajoutent 3000 ex-guérilleros des FARC qui ont soit quitté les zones de démobilisation, soit n’ont jamais été démobilisés. Il existerait aujourd’hui vingt bandes dissidentes des FARC.

Enfin, l’Armée de libération nationale (ELN, Ejército de Liberación Nacional en espagnole) s’est renforcée ces dernières années, passant de 1800 à 2300 combattants. L’ELN était jusqu’au retour des FARC considérée comme la dernière guérilla active de Colombie. Les pourparlers entamés pour la paix en 2017 ont été enterrés par le gouvernement suite à un attentat contre l’école de police (22 morts) à Bogota en janvier 2019.

Une multiplication des assassinats d’anciens FARC et de militants sociaux

Plus inquiétant encore, les assassinats des anciens combattants se multiplient. Les guérilleros s’étaient engagés à être désarmés en échange d’une protection de l’État. Si les cadres sont protégés, plus de 150 FARC ont été assassinés depuis 2016. De plus, plus de 700 activistes ont également été assassinés depuis les accords de paix, selon l’ONG Indepaz.

Ces militants sociaux luttent contre l’exploitation sauvage des mines et pour les droits des minorités. Ils dénoncent régulièrement les faits de corruption et tentent d’appuyer les programmes de substitution des cultures de coca. Derrière ces meurtres se trouvent à la fois des groupes paramilitaires de la droite dure, des narcotrafiquants ou des dissidents des guérillas.

Une volonté de fuir la justice ?

Le retour aux armes de certains combattants s’explique aussi par une volonté de fuir la justice. Les anciens commandants sont les plus concernés par la JEP. En effet, ce sont eux qui ont commis les plus graves violations du droit international humanitaire. Iván Márquez, de son vrai nom Luciano Marín, avait été le chef de la délégation des FARC aux négociations de paix menées à Cuba. Autre figure du mouvement, Jesús Santrich (Seuxis Hernández) apparaît sur la vidéo annonçant la reprise des combats, deux mois après avoir disparu. La justice le soupçonne de trafic de drogue avec l’un des neveux de Márquez, Marlon Marín. Washington a demandé son extradition, l’accusant d’avoir conspiré pour expédier de la cocaïne aux États-Unis après l’accord de paix.

Hernan Dario Velasquez, connu sous le nom de guerre d’El Paisa et ancien commandant de la principale force d’élite des FARC, la colonne Teofilo Forero, est également présent. Comme Santrich, il devait comparaître devant la juridiction spéciale de paix (JEP). Dix-sept hommes et femmes munis de fusils et d’une pancarte affichant le sigle FARC-EP se tiennent à leurs côtés. La vidéo montre aussi d’anciens chefs de guérilla qui s’étaient distancés du processus de paix. L’on retrouve entre autres Enrique Marulanda, Aldinever Morantes, Henry Castellanos (Romagna) ou Iván Merchán. Tous sont d’anciens chefs de front et de colonne.

L’implication du Venezuela

Au-delà des implications pour la seule Colombie, la naissance de cette nouvelle guérilla éclaire les tensions en cours dans la région. Le rôle du Venezuela, avec lequel la Colombie partage 2 200km de frontières, est fondamental. Nicolas Maduro a ouvert son territoire et permis la réorganisation des groupes colombiens illégaux. Près de 1000 rebelles de l’ELN et 600 dissidents des FARC se seraient installés dans le pays. L’ELN, notamment, a profité de l’instabilité politique et économique du Venezuela pour s’implanter dans le pays. Ses deux principaux commandants, Antonio Garcia et Gustavo Aníbal Giraldo Quinchía, dit ”Pablito”, s’y trouvent.

Pour Iván Duque, avec la dissidence des FARC, la Colombie est “face à la menace criminelle d’une bande de narcoterroristes qui comptent sur le soutien de la dictature de Nicolas Maduro. Ne tombons pas dans le piège de ceux qui prétendent revêtir d’idéologie leur conduite criminelle”. Il accuse son voisin d’avoir mis en place un plan de protection des guérilleros. La Colombie incrimine particulièrement le Venezuela de chercher à déstabiliser le pays en bloquant les infrastructures civiles et militaires.

Ainsi, l’hebdomadaire Semana fait état de rapports confidentiels du renseignement vénézuélien sur un travail commun entre les autorités vénézuéliennes et les groupes armés colombiens. Dans ces documents, les forces armées vénézuéliennes et les groupes rebelles analysent les points stratégiques des infrastructures colombiennes. Ces points vont des “cibles aériennes, terrestres et navales d’intérêt” et d’un tableau des objectifs stratégiques aux “éléments organiques pour le fonctionnement du pays”.

Des relations diplomatiques tendues, voire rompues, et un conflit latent

Outre les informations précieuses fournies par les rebelles, le Venezuela trouve un autre intérêt à la présence de ces groupes sur son sol. Dans l’éventualité d’une invasion des troupes américaines sur le sol vénézuélien à travers la Colombie, Nicolás Maduro espère s’allier à la guérilla colombienne dans la défense de son territoire, avec des groupes qui fonctionneraient alors de manière paramilitaire.

Les deux pays entretiennent des relations tendues, alors que Nicolas Maduro accuse son voisin et les États-Unis de comploter contre lui. Les relations entre Bogota et Caracas sont rompues depuis février, quand la Colombie a reconnu Juan Guaido comme président par intérim. Le président vénézuélien a en outre ordonné des manœuvres militaires et le déploiement de missiles à la frontière jusqu’au 28 septembre. La possibilité qu’un autre groupe que l’ELN s’appuie sur la frontière augmente les risques d’intensification du conflit. Le gouvernement colombien pourrait tenter d’attaquer les bases des nouveaux FARC à l’intérieur du Venezuela. En 2008, Álvaro Uribe, ancien président et mentor politique d’Iván Duque, avait ordonné le bombardement d’une base des FARC après la frontière équatorienne. Si Quito n’avait pas répondu à cette attaque, la réaction de Caracas pourrait être tout autre.

Faut-il craindre le retour à l’insurrection généralisée ?

Márquez reste une figure puissante du mouvement et l’on craignait son appel à la guerre. Il est cependant peu probable que les FARC reviennent d’une manière significative à l’insurrection généralisée. Il avait fallu cinq décennies pour assembler un appareil militaire comme celui des FARC. Le parti des FARC, avec Rodrigo Londoño à sa tête, a désavoué le soulèvement. Dans la circulaire adressée aux militants, “le parti condamne et prend ses distances avec le retour aux armes”. Il a invité “ceux qui peuvent être tentés par les chants des sirènes des déserteurs de la paix […] à réfléchir, méditer, analyser avec soin la réalité, avant de se décider à commettre une telle erreur”. Pour Timochenko, le soulèvement armé n’a donc “pas d’avenir”.

D’autres ont critiqué le manque de ligne idéologique claire de la nouvelle guérilla. Elle prône de nouvelles formes de lutte, sans enlèvement comme méthode de financement ou attaque des forces de l’ordre. Elle ne vise pas une prise du pouvoir mais la mise en place d’une Assemblée constituante. La dissidence tente cependant de s’allier à l’ELN. Or, l’ELN continue de se financier via des enlèvements, des extorsions et un “impôt révolutionnaire” prélevé sur leurs activités de narcotrafic.

La nécessaire mise en œuvre des accords

La nouvelle guérilla peut aussi espérer s’allier aux 2000 dissidents opérant dans le sud de la Colombie. Leur leader, Miguel Botache Santillana, connu sous le nom de Gentil Duarte, considère cependant Márquez comme un traître pour avoir aidé à négocier l’accord de 2016. Enfin, le groupe armé aura du mal à reconquérir et restructurer les territoires occupés par d’autres.

Si les FARC et les colombiens restent attachés à la paix, elle demeure fragile. La dissidence des FARC pourrait entraîner une nouvelle vague de violence s’étendant aux autres groupes armés. En outre, le retour aux armes de Márquez et de ses compagnons est une attaque directe contre l’accord de paix. En réponse, l’application de toutes les dispositions de l’accord devient une absolue nécessité. Duque doit aujourd’hui travailler avec l’ensemble du Congrès – y compris les partis d’opposition – pour lever les obstacles à la bonne mise en œuvre de l’accord. Le gouvernement doit soutenir avec des efforts visant à fermer définitivement la porte à la violence.

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Solène VIZIER

Solène Vizier est diplômée d’un Master 2 Etudes Stratégiques. Passionnée de géopolitique, ses domaines de spécialisation concernent les mondes hispanophone et russophone, le désarmement nucléaire et la géopolitique du sport. Elle est rédactrice aux Yeux du Monde depuis avril 2019.

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