L’accord avec l’ELN pourrait-il signer la fin de la guérilla en Colombie ?
Contrairement aux idées reçues, les accords de paix avec les FARC n’ont pas mis fin à la guerre contre les guérillas marxistes. L’ELN (Armée de Libération Nationale) et ses 1500 membres actifs persistent à menacer la stabilité de la Colombie. A quelques mois des élections présidentielles, les difficiles négociations entamées avec ce groupe pourraient s’avérer être l’un des enjeux majeurs de la future campagne.
La paix négociée et signée entre le gouvernement de Santos et les FARC a profondément impacté la société colombienne. Cette dernière a été plus que réticente à accepter le retour dans la vie civile des nombreux guérilleros. Il en est de même, de la reconnaissance du mouvement comme un parti politique à part entière. Le referendum populaire qui devait légitimer les accords s’est soldé par la victoire du « Non », soutenu par l’ex président Uribe. C’est un nouvel accord en demi-teinte qui a alors été renégocié et simplement voté par le congrès colombien.
Pour autant, cet armistice n’a pas mis fin à la guérilla marxiste-léniniste dans le pays. L’ELN continue ses actions qui déstabilisent l’état de droit colombien. Ce mouvement, créé en 1964 par des intellectuels et des étudiants, a été fortement influencé par la révolution cubaine et le catholicisme social relié à la « théologie de la libération ». Contrairement aux FARC qui se concentrent sur les questions agraires, les « elenos » se positionnent sur des questions beaucoup plus politiques comme l’instauration d’une démocratie participative ou la lutte contre le pillage des ressource naturelles colombiennes par les multinationales. Les deux guérillas se sont par ailleurs opposées ou alliées au gré des circonstances et des situations.
L’ELN a connu son heure de gloire dans les années 90 pendant lesquelles elle comptait jusqu’à 6000 combattants. Elle focalisait alors ses actions contre les forces gouvernementales et les intérêts des firmes étrangères. L’ensemble de l’organisation se finançait à travers « l’impôt révolutionnaire », les enlèvements et le trafic de drogue. Cependant, les politiques volontaristes et interventionnistes impulsées depuis les années 2000 par les présidents Uribe et Santos ont considérablement réduit les capacités de nuisance de l’ELN. Il est important de noter que ses succès sont au prix d’une guerre « sale » où l’armée est suppléée de manière plus ou moins complice par des groupes paramilitaires d’extrême droite. Pour autant, ce mouvement catholique et guévariste tente de résister avec ses 1500 combattants concentrés dans les régions transfrontalières avec le Venezuela. Ces derniers sont à l’origine d’opérations symboliquement fortes contre les représentants de l’État (forces de l’ordre, politiciens). L’ELN procède aussi au sabotage d’infrastructures d’extraction de matières premières.
Le bilan de Santos sera-t-il sauvé par le début des pourparlers ?
Depuis 2012, le gouvernement de Santos négocie secrètement de difficiles pourparlers avec l’ELN. En effet, cette guérilla n’a pas une structure verticale hiérarchisée comme celle des FARC si bien que chaque cellule ELN jouit d’une grande autonomie. Au nom de la démocratie participative, chaque décision impliquant le groupe doit faire l’objet d’un consensus entre les subdivisions qui ne sont pas nécessairement confrontées aux mêmes problématiques sur le terrain. En outre, la paix avec les FARC a renforcé l’ELN qui se retrouve en position monopolistique sur les mouvances d’extrême gauche. Ceci lui a permis d’investir les réseaux et les espaces jusqu’alors détenus par les FARC et de gonfler ses rangs grâce aux déçus de l’accord. D’autre part, le gouvernement de Santos, qui a toujours considéré l’ELN comme une guérilla de « seconde classe », est beaucoup moins disposé à atteindre le niveau de concessions faites aux FARC pour obtenir un accord.
Cependant, après d’âpres tractations réalisées en terrain neutre (Équateur) un cessez-le-feu reconductible de 108 jours été signé en octobre 2017. Les deux camps réclamaient des garanties mutuelles. D’un côté, l’ELN a fait de la défense de la souveraineté des ressources naturelles du pays et la participation citoyenne au processus de paix le cœur de ses revendications. De l’autre, Bogota a exigé la fin des attentats et la libération d’otages. L’ONU et l’Église catholique, en tant qu’institutions neutres, se sont portées garantes du respect de cette paix provisoire. L’Église colombienne, légitimée par la visite du Pape en septembre 2016, a notamment joué un rôle de médiation primordial entre les deux camps. L’accord a été soumis à rudes épreuves mais a été reconduit le 8 janvier dernier.
Pour les prochaines élections présidentielles, qui auront lieu le 27 mai, le gouvernement de Santos souhaite utiliser cet accord pour valoriser son bilan jusqu’alors en demi-teinte. En retour, l’opposition conservatrice accuse le gouvernement de laxisme et joue la carte de l’intransigeance vis-à-vis des guérillas marxistes qui ont provoquées 300 000 morts et 7 millions de déplacés. Autant dire que le résultat de ces élections sera décisif dans la poursuite des négociations. Porteur d’espoir, il pourrait mettre fin à plus de 60 ans de violence.