Un accord sino-américain sur TikTok
La pression américaine sur ByteDance et la volonté de bannir les applications TikTok et WeChat du sol américain sont des révélateurs de la guerre technologique et économique que se livrent la Chine et les États-Unis.
Les entreprises chinoises dans la tech
Le secteur des nouvelles technologies – la tech – est solidement implanté en Chine. Là où le marché américain est dominé par cinq acteurs surnommés les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft), quatre acteurs chinois forment leurs équivalents, les BATX – Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi. Baidu est le principal moteur de recherche chinois et détient Baike, le Wikipédia chinois. Xiaomi vend du matériel électronique, allant des smartphones aux objets connectés. Tencent détient WeChat, le principal réseau social chinois. WeChat inclut d’autres services comme des solutions de paiement en ligne. Tencent est également leader de marché des jeux vidéos en ligne en Chine. Enfin, Alibaba est le principal site d’e-commerce chinois, avec une solide implantation sur tout le marché asiatique. Alibaba est également le leader asiatique du cloud. Alibaba et Xiaomi détiennent tous deux des parts dans Youku, le YouTube chinois.
Ainsi, les BATX rassemblent un ensemble de services que proposent les GAFAM. Les BATX ont toutefois l’avantage de bénéficier d’un certain protectionnisme de Pékin (interdiction de Google, de YouTube, de Facebook) et bien sûr de mieux s’adresser au marché chinois. La tech chinoise ne se limite toutefois pas aux BATX. On peut par exemple mentionner les entreprises Huawei, Lenovo, ou ByteDance (groupe détenant TikTok). Le secteur de la tech est donc largement couvert, allant de la création de matériel à forte valeur ajoutée (smartphones, ordinateurs, serveurs, infrastructures réseau…) aux services en ligne (réseaux sociaux, applications, e-commerce, jeux…).
Une montée en puissance à l’international
Ces entreprises sont solidement implantées en Chine, en Asie et pour certaines en Europe. Ainsi, Huawei est leader mondial sur l’installation d’infrastructures 5G. En ayant signé des contrats avec des pays d’Asie et d’Afrique, le géant chinois peut faire des économies d’échelle et donc investir des sommes que ses concurrents ne peuvent suivre. TikTok de son côté est l’une des applications les plus téléchargées chez les jeunes. Huawei, Lenovo ou Xiaomi ont également pénétré le marché européen du matériel pour les particuliers (smartphones, ordinateurs…) et y côtoient les entreprises traditionnelles (Apple, Samsung, Microsoft, IBM…). Des applications comme WeChat sont populaires dans les communautés chinoises à l’étranger, sans avoir pénétré en profondeur les marchés occidentaux. La présence des entreprises chinoises dans le domaine de la tech est donc un phénomène grandissant à l’échelle mondiale.
La rivalité technologique sino-américaine
Cette montée en puissance bouscule les équilibres sur le marché. On assiste effectivement à une remise en cause (relative) du monopole technologique des grandes puissances économiques traditionnelles. Le domaine de la tech inclut aussi des enjeux stratégiques et de sécurité importants. Ceux-ci sont très vastes, allant de la cybersécurité à la protection des données. Les liens entre le pouvoir politique et les grandes entreprises chinoises font des BATX une menace pour les États-Unis, l’Europe et l’Australie. À cela s’ajoutent deux crises qui ont entaché l’image de Pékin : La crise hongkongaise et la répression au Xinjiang. L’usage de l’intelligence artificielle ou de la surveillance sur les réseaux sociaux ont montré le danger que représente le secteur de la tech chinoise. Ainsi, alors que la France et le Royaume-Uni avaient autorisé Huawei à participer à la construction de leurs réseaux 5G, les deux pays ont fait machine arrière peu après la crise hongkongaise.
C’est dans ce contexte que Donald Trump a lancé des sanctions économiques contre la Chine. Ces sanctions touchent tous les secteurs stratégiques et la tech n’est évidemment pas épargnée. En effet, outre l’intérêt stratégique, c’est également un secteur à forte valeur ajoutée économique. Donald Trump, homme d’affaire avant d’être un homme politique, a bien cet élément en tête. Derrière les interdictions d’entreprises chinoises sur le sol américain, il faut voir autant une question sécuritaire qu’une volonté de créer un rapport de force favorable aux entreprises américaines. La première attaque de Trump a ciblé Huawei, en l’excluant de la construction du réseau 5G et en empêchant d’utiliser les services de Google sur les smartphones chinois. La volonté d’interdire WeChat et TikTok va dans le même sens. Pour TikTok, Trump a laissé une porte de sortie : Soit être racheté par un acteur américain, soit laisser à un partenaire américain l’accès au code source de l’application chinoise.
Un accord sur TikTok
Deux entreprises américaines se sont proposées comme partenaires de ByteDance : Microsoft et Oracle. ByteDance a refusé l’offre de Microsoft qui impliquait de donner accès au code source de TikTok. Le gouvernement américain avait prévu de mettre en place les mesures d’interdiction de TikTok le 20 septembre. Mais le 19 septembre, Donald Trump a validé un deal proposé par Oracle. Oracle est une société américaine, leader sur les solutions de base de données. Le dirigeant de la société est par ailleurs un proche de Trump. On ne sait pas si Oracle aura accès au code source de TikTok. La société américaine stockera l’application sur son cloud, garantissant une meilleure sécurité pour Washington. La Chine n’a pour l’instant pas donné d’avis sur l’accord.
Il convient de relativiser la portée de cet accord. Certes TikTok n’est pas interdit, mais ce type de pression de la part de Donald Trump n’est pas nouveau. ByteDance peut se considérer en sursis, mais certainement pas hors de portée de nouvelles manœuvres américaines. En revanche, la portée de cet accord dépasse simplement ByteDance. Si un tel accord prend réellement place, il peut servir de précédent pour des solutions avec d’autres entreprises chinoises. WeChat et surtout Huawei, peuvent ainsi espérer rester ou revenir sur le marché américain, à condition de s’associer avec un partenaire local. Le grand gagnant de l’accord est Donald Trump. Le Président américain contrôle ainsi l’accès au marché américain et n’hésite pas à redessiner les rapports de force à l’avantage de son pays et des entreprises dont il est lui-même proche.