L’internet chinois, instrument central de la puissance de Pékin
La Chine est au seuil du statut de superpuissance. Deuxième économie mondiale, le pays est un colosse démographique, commercial, militaire et politique. La puissance de Pékin ne saurait toutefois être analysée sans le prisme de son internet. Celui-ci est devenu l’une des pierres angulaires de son pouvoir d’influence.
Entre 2008 et 2018, l’accès à Internet en Chine est passé de 300 à 802 millions d’usagers, soit 57,7% de la population. Là où le cyberespace induit la libre-circulation des contenus et la liberté d’expression, l’Internet chinois constitue un réel paradoxe. La Chine s’est bâtie, ces deux dernières décennies, un espace virtuel dont censure et volonté de contrôle absolu forment les deux piliers. En 2007 est instaurée une « cyberpolice », légitimée par un livre blanc sur la répression des contenus en 2010. Cette tendance s’est confirmée avec une guerre menée contre les VPN* (Virtual Personal Networks), l’interdiction de certains média, la possibilité de récolter des données personnelles et le développement d’applications promouvant l’idéologie du parti. Plus qu’un espace informatique classique, l’internet chinois est un intranet géant, un réel SinoNet.
Les champions de l’internet chinois, vecteurs de puissance géoéconomique
Penser la cyber-souveraineté dans un contexte mondialisé induit l’inéluctable interrogation de l’influence étrangère, dont celle des GAFA. Ces entités hégémoniques se voient pourtant asphyxiées dans cette exception numérique chinoise. Google en est en effet banni depuis 2010, alors qu’Apple subit un délaissement de ses produits au profit de marques nationales. Même son de cloche du côté de Facebook et d’Amazon, étouffés par les marketplaces chinoises. En cause, une politique de soutien de la part de Pékin envers ses « pépites » : les BATX. Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi ont acquis un statut d’incontournables en Chine, en témoigne une croissance substantielle sur les marchés nationaux et mondiaux. Ces miroirs des géants américains sont autant de vecteurs géoéconomiques de la puissance chinoise. Ils s’inscrivent dans une ambition globale.
Le cyberespace, nouveau haut lieu de la projection de la puissance chinoise
Outre ses champions, la stratégie de Pékin passe par la promotion de son modèle à l’international. Lors de la Cinquième Conférence Mondiale de l’Internet de Wuzhen (2018), la Chine a témoigné d’une ambition de : « transmettre ses normes à des gouvernements à tendance autoritaire », comme le souligne l’ONG Freedom House. La Chine est également très volontariste technologiquement, avec ses projets en matière de conception et de déploiement d’un réseau 5G. Selon Eric Schmidt, ancien dirigeant de Google, le pays s’achemine vers une position de leadership à échelle mondiale : « Je pense que le scénario le plus probable n’est pas l’éclatement, mais une bifurcation vers un internet mené par la Chine d’une part, et un internet non-chinois mené par les États-Unis d’autre part ». Les toutes prochaines années seront cruciales pour confirmer cette cyber-prophétie.
* VPN : Un VPN est un logiciel permettant d’accéder à un réseau interne (d’une entreprise par exemple). Les VPN sont en outre aujourd’hui employés pour accéder à des réseaux géographiquement éloignés et masquer son adresse IP. En Chine, ils permettent de contourner les interdictions de Pékin en simulant une connexion basée à l’étranger et de rester anonyme dans une certaine mesure.
Sources :
ALIX Christophe, BALENIERI Raphaël, BATX : les quatre géants du web chinois, Libération, 9 janvier 2018
CHERIF Anaïs. En 2030, Internet sera administré par la Chine et les Etats-Unis, selon l’ancien patron de Google. La Tribune, 25 septembre 2018
FREEDOM HOUSE, Freedom on the Net 2018, The Rise of Digital Authoritarianism, Freedom House, 2018
LIU Zhifan, Internet : la vision « cyber-souveraine » de la Chine, Libération, 6 novembre 2018
MCCARTHY Niall, China Now Boasts More Than 800 Million Internet Users And 98% Of Them Are Mobile, Forbes, 23 août 2018
TRUJILLO Elsa, La Chine, le casse-tête des géants du Web, Le Figaro, 3 août 2016