Les crises de l’acier dans le monde
L’Europe connaît une crise de son industrie de l’acier en raison de la concurrence chinoise. Cependant, la Chine, malgré sa domination écrasante récente dans ce secteur, connaît à son tour des soucis liés à la surproduction.
L’Europe face au dumping chinois
Nous avons assisté, entre 2012 et 2015, à une explosion de l’exportation d’acier chinois à faible coût. Même si la métallurgie européenne profite de la bonne santé de la production automobile en 2015 (23% des constructions automobiles ont été réalisées par l’Union Européenne en 2015 selon l’Organisation internationale des constructeurs), le secteur de l’aciérie est en crise. En effet, depuis 2008 en Europe, près de 40 millions de tonnes de capacités de production ont été supprimées et 30 000 emplois directs ont été détruits, ce qui constitue 20% des effectifs. Cependant, la crise actuelle n’est pas due à une faible demande, comme en 2008, mais prend une nouvelle forme : celle de la guerre des prix très faibles menée par la Chine, dont la production atteint, en 2015, 56% de la production mondiale. Aujourd’hui, une tonne d’acier chinois, produit fini, coûte presque le même prix qu’une tonne de minerai de fer, la matière brute servant à le fabriquer !
En Russie, la dévaluation du rouble a relancé la compétitivité (5% de la production mondiale en 2015) dans le domaine. Jusqu’à présent, l’Europe s’en sortait à peu près avec son acier haut de gamme, comme l’acier plat pour l’industrie automobile, mais cela ne suffit pas pour remplir les carnets de commandes. Cette pression des prix tend désormais à réduire fortement les marges des industriels européens, bien que l’impact chiffré soit parfois encore difficile à cerner. Ainsi, le groupe de sidérurgie allemand Thyssen-Krup, reste fortement bénéficiaire. De son côté, ArcelorMittal, plus important producteur d’acier mondial, a connu une perte record de 8 milliards d’euros en 2015, et annoncé la suspension de l’activité de son usine à Sestao, en Espagne. En revanche, au Royaume-Uni, l’annonce de la suppression de 5 000 emplois (au sein du groupe Tata Steel notamment) laisse à penser que les conséquences de cette crise vont s’accumuler. La Commission Européenne a réagi en lançant, en février, des enquêtes pour dumping de la Chine sur son acier, et a décidé d’instaurer des droits de douane sur les importations d’acier laminé à froid en provenance de Chine et de Russie. Mais, ces droits restent peu dissuasifs, tandis qu’une plainte contre le dumping ne peut concerner qu’un produit et non un secteur entier, donnant au recours juridique européen peu de chances d’aboutir.
L’horizon s’assombrit également en Chine
La Chine connait des difficultés économiques depuis quelques mois, notamment dans les secteurs nécessitant justement de l’acier : l’immobilier et la construction. En conséquence, sur 800 millions de tonnes produites, 350 sont en excédent par rapport aux besoins de l’économie chinoise. Cet excédent représente près d’un quart de la production mondiale annuelle. Les exportations à bas prix ne permettent pas d’absorber les immenses surcapacités de la sidérurgie chinoise. Principale conséquence, à Tangshan, capitale de l’acier située dans le nord de la Chine, le groupe étatique Guofeng y a récemment fermé son site de production, provoquant la manifestation de centaines d’ouvriers licenciés. Les grands groupes sidérurgiques chinois souffrent de la baisse des prix dans un contexte de fort recul de la demande intérieure, et leur survie passe désormais passe par les aides publiques de l’Etat. L’an dernier, les pertes combinées des principaux producteurs d’acier chinois ont été multipliées par 24 par rapport à 2014, selon la China Iron and Steel Association. L’agressivité tarifaire de la Chine dans le commerce extérieur est donc le résultat de l’unique solution viable trouvée par les entreprises pour écouler les surplus. Cette bouffée d’oxygène apparaît cependant encore insuffisante.
C’est pour cette raison que Pékin s’est résolu à supprimer entre 100 et 150 millions de tonnes de capacités de production d’ici à 2020. Cette crise s’inscrit dans un contexte industriel particulièrement difficile en Chine puisque dans le secteur du charbon, également sinistré, plus d’un million d’emplois pourrait disparaître à moyen terme, faisant naître des craintes chez les mineurs chinois qui multiplient les manifestations dans la région Shuangyashan au nord-est du pays.
Finalement, la crise mondiale de l’acier menace les quelque 300 000 emplois du secteur au sein de l’Union Européenne, auxquels s’ajoutent les 500.000 emplois de l’acier chinois qui devraient être supprimés si Pékin tient ses promesses de réduction de capacités de production.