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Le silence assourdissant d’Aung San Suu Kyi au sujet des minorités musulmanes birmanes

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Un peu plus d’un an après la victoire de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), le parti fondé par Aung Suu Kyi, aux élections législatives birmanes, la Dame de Rangoun est fortement critiquée sur le traitement infligé aux minorités musulmanes, notamment les Rohingyas dans l’ouest du pays.

« Votre silence s’apparente à de la complicité ». Tel est le grief reproché à la Dame de Rangoun au sujet des exactions subies par les Rohingyas.

Les espoirs nés de l’élection du Prix Nobel de la Paix 1991

Bien qu’elle ne soit pas présidente de la Birmanie, la Constitution lui interdit, Aung San Suu Kyi est le chef du gouvernement au sein duquel elle s’est octroyé quatre ministères, notamment celui des Affaires étrangères. Son parti, la LND, dirige les deux chambres parlementaires, ce qui a occasionné beaucoup d’espoirs concernant la transition démocratique. Cependant, la question des minorités du pays demeure un sujet très sensible. Aucune déclaration les concernant n’est à mettre au crédit de la Dame de Rangoun. Par ailleurs, les opposants à Aung San Suu Kyi n’avaient pas manqué de faire remarquer qu’aucun musulman ne se trouvait sur les listes de la LND aux législatives de novembre 2015.

Les Rohingyas, minorité musulmane de l’ouest du pays, sont considérés par la majorité bouddhiste du pays (plus de 90%) comme des étrangers. La plupart d’entre eux n’ont accès ni à l’éducation, ni à la santé, ni au marché du travail. Le nationalisme grandissant a conduit à l’augmentation des actes de persécution à leur encontre. Depuis quelques semaines, près de 50 000 Rohingyas ont fui une opération militaire d’ampleur dans le nord-ouest du pays. Ils se sont réfugiés au Bangladesh, pays frontalier, et ont dénoncé des exactions commises par l’armée birmane : viols collectifs, tortures, meurtres.

Inquiétudes de la communauté internationale

Alors pour quelles raisons l’icône pacifiste du pays demeure muette sur le sujet ? Paradoxalement, sans doute pour maintenir le processus de démocratisation du pays. En effet, la victoire de Suu Kyi il y a un peu plus d’un an s’est faite dans un consensus avec l’armée. Cette dernière détient encore près de 25% des sièges au Parlement, et ce sont des militaires qui ont été nommés aux postes stratégiques de la Défense, des Frontières et l’Intérieur. Par conséquent, il est très difficile pour Aung San Suu Kyi de s’opposer ouvertement à la junte militaire du pays, composée d’environ 50 000 hommes. Une prise de parole critique pourrait entraîner l’arrêt de la transition démocratique en cours et les progrès observés depuis quelques années. Il semble que la Dame de Rangoun a pour le moment choisi de sacrifier les 1,2 millions de Rohingyas du pays sur l’autel de la démocratisation. Ainsi, Amnesty International déplore la disparition de villages entiers suite aux répressions de l’armée.

A la situation des Rohingyas, s’ajoute celle de nombreux civils issus de la minorité kachin dans nord du pays. Des milliers de déplacés vivent dans des camps de fortune adossés à la frontière chinoise. Ils sont pris en tenaille entre la position des opposants rebelles au gouvernement en place et celle de l’armée birmane. Récemment, le gouvernement a effectué un premier pas en ouvrant une enquête sur de possibles exactions des forces de l’ordre, suite à la diffusion d’une vidéo accablante mettant en scène huit policiers birmans coupables de violences dans le village de Kotankauk.

La communauté internationale s’émeut de plus en plus de cette situation. Notamment, depuis que le gouvernement de Suu Kyi a refusé l’entrée de l’aide humanitaire et la visite du rapporteur spécial des Nations unies pour les droits de l’homme en Birmanie dans la région de Kachin. Le 29 décembre dernier, onze autres anciens Prix Nobels de la Paix l’ont accusée, dans une lettre adressée à l’ONU, de passivité et de complicité silencieuse dans « la tragédie humaine, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité » vécus par les minorités musulmanes birmanes. Ces figures de la paix, parmi lesquelles on retrouve la militante pakistanaise Malala Yousafzai et l’avocate iranienne Shirin Ebadi, ont sommé Ang San Suu Kyi de faire preuve de compassion, de courage et d’humanité.

Une fois de plus, ces appels n’ont pas amené de réponses. Passée d’opposante à dirigeante confrontée à la realpolitik, celle qui faisait trembler la dictature de son pays à chacune de ses prises de paroles il y a encore vingt-cinq ans, choisit désormais de répondre par un long et douloureux silence.

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Marc GERARD

Ancien élève de CPGE B/L au Lycée Montaigne, Marc Gérard est diplômé d'un master en Histoire des mondes modernes et contemporains, certifié et enseignant en Histoire-Géographie. Il est rédacteur pour Les Yeux du Monde depuis janvier 2016.

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