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L’Eurovision, révélateur des conflits linguistiques européens

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Le 57ème concours de l’Eurovision tenu hier à Bakou en Azerbaïdjan s’est conclu sur la victoire écrasante de la Suède. L’événement européen est un succès médiatique national à Stockholm : la place Sergel fut vite enveloppée de drapeaux jaune et bleu pour fêter la victoire de l’héroïne nationale, 34 ans après ABBA. Fête nationale pour une victoire européenne. La belle Laureen est désormais une idole européenne, égérie d’un spectacle regardé par près de 100 millions de téléspectateurs à travers l’Europe. Doit-on y voir un pas vers une « identité européenne » ?

Hier soir, sur les 29 chansons, 17 furent interprétées en anglais. Une seule en français, sans doute à cause de l’absence du Luxembourg, de la Suisse, de la Belgique. Deux en espagnol. Une en italien. Aucune en allemand. Cette domination de la langue anglaise reflète un phénomène réel depuis l’entrée dans la CEE en 1973 de la perfide Albion : l’anglais (le « godon » du général de Gaulle) est devenu la langue de travail officielle de l’UE la plus utilisée, loin devant le français, ancienne langue diplomatique européenne. Les institutions ont beau se situer sur le Rhin, à Luxembourg, à Bruxelles, à Strasbourg ; les débats se font en anglais, langue du « village global » et désormais langue du « village européen ». Tant que ses juges continueront de délibérer en français, la Cour Européenne de justice restera le seul maquis de résistance de la langue française en Europe. Cette évolution déplaît autant à la France qu’à l’Allemagne qui, fière de ses 100 millions d’adeptes, reste la langue la plus parlée de l’Union Européenne. On le voit : derrière cette question anecdotique des langues en Europe on entrevoit des rancœurs, des conflits d’influence terribles entre les trois pôles directeurs de l’UE : France/Allemagne/Royaume Uni.

Autre point central : ce furent certes la France, l’Italie, l’Espagne mais surtout l’Albanie, la Russie, la Bosnie, la Macédoine, la Serbie et l’Estonie qui, hier, échappèrent à la règle et décidèrent de bomber le torse et de chanter fièrement en langue nationale. Ces interprétations volontairement nationalistes marquent la profonde nécessité de s’imposer comme une nation dans une zone dangereuse : les Balkans et la frontière russe. Ce voisinage de nations jalouses, envieuses, guerrières forme une zone de conflits terriblement préoccupante à la frontière de l’Union Européenne. Chacun doit affirmer avec force son identité pour persister non seulement dans un contexte dangereux mais aussi résister aux fractures internes existant dans ces pays (minorités, clans).

L’Union Européenne considère sa diversité linguistique comme un facteur de démocratie évitant l’hégémonie d’une nation. A constater l’enracinement de la langue anglaise dans les institutions européennes, beaucoup de choses ont changé. Ce laissez-faire a probablement été décidé pour favoriser la naissance d’une identité collective européenne : mais la persistance des nationalismes, surtout en temps de crise, condamne pour l’instant l’émergence d’une telle force spirituelle. En attendant les calendes grecques, l’Europe vivait hier soir un instant de communion, teinté d’une compétition pacifique entre des nations historiquement guerrières.

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