La grande mosquée de Moscou : une inauguration hautement politique
Le 23 septembre 2015, Vladimir Poutine inaugurait en grande pompe la nouvelle grande mosquée de Moscou en compagnie de ses homologues Mahmoud Abbas (Autorité palestinienne) et Recep Tayyip Erdogan (Turquie). Vaste de 19 000 mètres carré, l’édifice pourra accueillir jusqu’à 10 000 fidèles.
Mobilisant 15% de la population du haut de ses 20 millions de fidèles, l’Islam est la deuxième religion en Russie derrière l’orthodoxie. Dans sa stratégie de contrôle de tous les leviers du pouvoir, Vladimir Poutine semble prendre la pleine mesure du fait religieux. Ainsi, en inaugurant ce qui est désormais la plus grande mosquée d’Europe, le président russe entretient-il l’idée (l’illusion?) d’un équilibre entre les religions traditionnelles telles que définies par la loi de 1997 sur la liberté de conscience et les associations religieuses. Si cette loi pose le principe de séparation des religions et de l’Etat en théorie, la pratique veut que l’Eglise orthodoxe bénéficie d’un statut privilégié. Répondant de façon spectaculaire au déficit d’infrastructure (Moscou compte 4 mosquées pour une population musulmane estimée à 2 millions), Vladimir Poutine se positionne comme le président de «tous les russes».
La portée politique de cette inauguration dépassait cependant le seul cadre de la Russie. La présence de Mahmoud Abbas et de Recep Tayyip Erdogan en attestent, tout comme le contenu du discours du président russe. En appelant de ses voeux à un «Islam éclairé», un «Islam authentique», un Islam «humaniste», celui qui a intégré la notion de «sécurité spirituelle» à la doctrine de sécurité de la Russie entendait envoyer un message clair, à son étranger proche et à ses marges, constitué notamment par les pays traditionnellement musulmans d’Asie centrale postsoviétique et le Caucase.
Dans ces régions, la chute du bloc soviétique avait coïncidé avec la recrudescence du fait religieux notamment dans l’affirmation des identités. Aujourd’hui encore, 42% des habitants du Dagestan et de la Tchétchénie seraient favorables à l’introduction de la charia dans le système législatif de leur république respective. Dans un contexte marqué par l’influence de la mouvance de l’«Etat Islamique» dans le domaine religieux, on peut voir dans l’intérêt affiché par Vladimir Poutine à l’Islam, un moyen de ne laisser aucune perméabilité au fondamentalisme religieux, appliquant ainsi son concept de «sécurité spirituelle». En apparence très consensuel, ce discours ne doit pas dissimuler une relation en réalité plus complexe et ambigüe du pouvoir russe à l’égard de l’Islam fondamentaliste. En effet, la religion a déjà fait l’objet d’instrumentalisation de la part du pouvoir russe sous couvert de lutte contre le terrorisme islamique. Dans les faits, le pouvoir russe s’accommode très bien d’un Islam radical pour peu que celui-ci participe à sa stratégie sécuritaire. L’exemple de la Tchétchénie de Ramzan Kadyrov en constitue l’exemple le plus frappant. Ainsi, alors que la perspective d’une Tchétchénie indépendante se dessinait suite à l’implosion de l’Union soviétique, Vladimir Poutine s’était habilement joué de la branche indépendantiste islamiste afin de discréditer le projet porté par les nationalistes. Dans l’esprit du pouvoir russe, le degré de radicalité du futur dirigeant tchétchène importait moins que son degré de loyauté. C’est ainsi que le gouvernement russe se retrouve à financer généreusement la Tchétchénie de Kadyrov, porteur d’un Islam radical mais garant de la «liquidation» des éléments terroristes hostiles à la Russie selon les termes de Dmitri Medvedev. Vladimir Poutine n’en a pas moins déploré, en clôture de son discours d’inauguration de la grande mosquée, les «tentatives d’exploitation cyniques des sentiments religieux à des fins politiques»…