L’Union Européenne s’attaque à l’optimisation fiscale
Fin janvier 2016, Pierre Moscovici, Commissaire européen aux affaires économiques et financières, annonçait les grandes lignes de l’ « Anti Tax Avoidance package ». Censé lutter contre l’optimisation fiscale – exploitation d’outils et failles juridiques visant à réduire les impôts payés – et la fraude des firmes multinationales, sa mise en place effective dépendra grandement de la volonté des Etats membres, pour lesquels la fiscalité demeure un enjeu fort de souveraineté.
Les récents déboires de Google en matière de fiscalité illustrent l’actualité et l’ampleur du phénomène : 1,6 millards d’euros lui seraient réclamés par l’administration française, 200 millions par celle italienne, après 171 millions déjà acquittés auprès du Royaume-Uni en dédommagement des arriérés de la décennie précédente. Derrière ces réclamations, souvent la même condamnation, celle du transfert intra-groupe des bénéfices de chacune des filiales vers celles des pays à la fiscalité avantageusement faible. Selon l’OCDE, ce seraient chaque année entre 100 et 240 milliards d’euros en moins pour les finances publiques mondiales, du fait de l’évasion et de l’optimisation fiscales. Dans un contexte budgétaire tendu et devant le creusement des inégalités, autant de pratiques de plus en plus difficiles à tolérer pour les pouvoirs publics.
Du fait du type d’acteurs déroulant ce type de stratégie – multinationales jouant sur la variété des législations et administrations des pays où elle s’installent, le problème a été discuté dans des cercles de gouvernance mondiaux. C’est ainsi que l’OCDE a fait office d’instance de discussion et d’élaboration de mesures visant à contrer le phénomène. Le plan dit « BEPS » (Base Erosion and Profit Shifting) résulte de ces concertations et s’est vu validé par le G20 à Lima en octobre 2015, soulignant l’intérêt et un relatif consensus des puissances mondiales pour la question.
Le plan présenté par Pierre Moscovici début 2016 est la déclinaison européenne de cette initiative. Il propose des mesures techniques visant, entre autres, à limiter les transferts entre filiales d’un même groupe, à supprimer les situations de double non-imposition ou a réduire le détournement des mécanismes permettant la réduction de la base imposable en fonction des intérêts de la dette. L’initiative vise aussi à rendre obligatoire pour les multinationales la déclaration chiffrée de leurs activités aux administrations fiscales des pays où elles sont implantées. Plus largement, à travers ce plan, la Commission compte renforcer la coopération entre les administrations des Etats-membres et désamorcer la concurrence entre eux, la fiscalité demeurant un élément majeur de compétitivité d’un pays. Dans cette perspective, à un horizon plus lointain, Pierre Moscovici a ainsi annoncé vouloir travailler à une harmonisation accrue de l’impôt sur les sociétés au sein de l’UE.
Ambitieux plan dont la mise en place en l’état pourrait néanmoins s’avérer compliquée. Institutionnellement, la règle de l’unanimité s’applique en effet au sein du Conseil européen (l’instance regroupant les représentants des Etats membres) en matière de fiscalité, compliquant singulièrement l’accord autour d’une position commune. Démarche d’autant plus ardue que l’attractivité économique de certains Etats-membres repose en grande partie sur une fiscalité avantageuse (Pays-Bas, Irlande, Luxembourg…).
Les premières difficultés sont d’ailleurs déjà apparues lors de la première discussion du plan de la Commission par le Conseil ECOFIN (réunion des ministres des finances de l’UE), à la mi-février. Plusieurs propositions du plan européen s’avérant plus agressives que celles du BEPS, quelques ministres, dont l’allemand M. Schäuble, ont ainsi plaidé pour une séparation en deux de l’initiative : les mesures calquées du BEPS d’une part, celles plus offensives et plus polémiques d’autre part. Au nom de la simplicité et de l’efficacité pour certains (Allemagne), de la compétitivité et de la souveraineté pour d’autres (Belgique, Luxembourg, Pologne…), un plan à deux vitesses se profile, qui déjà esquisse le risque pour les mesures véritablement audacieuses de lentement tomber dans l’oubli. A la Commission le rôle de trouver, dans les mois à venir, un plan de marche promouvant l’intégration en la matière et à même de ménager les sensibilités particulières.