Le Portugal, un succès économique socialiste ?
A l’heure où l’Eurogroupe doit se choisir un nouveau chef suite à la démission du néerlandais Jeroen Dijsselbloem, c’est le ministre des finances portugais Mario Centeno qui tient la corde. Membre du gouvernement dirigé par le socialiste Antonio Costa, Mario Centeno est considéré comme un centriste acceptable par ses partenaires européens. C’est lui qui a permis le redécollage de l’économie portugaise, qui a renoué avec une croissance positive (+2,6% en 2017), à tel point que certains commencent à parler de modèle portugais. L’occasion de s’interroger sur les mérites de la politique de relance et de sérieux budgétaire menée par le Portugal.
Une politique « anti-austérité »
Arrivé au pouvoir sur fond de rejet des politiques d’austérité menées par le gouvernement de centre-droit de Pedro Passos Coelho, la coalition de gauche présidée par le socialiste Antonio Costa mène depuis 2015 une politique originale de réduction des déficits et de relance de la croissance par la demande. La coalition entre socialistes, communistes et anticapitalistes du Bloco de esquerda a voté le 30 novembre dernier un budget 2018 qualifié d' »anti-austérité« . En effet, ce budget prévoit notamment une augmentation des impôts pour les entreprises, une baisse des impôts pour les classes moyennes, ainsi qu’une revalorisation du salaire minimum à 600€ et des pensions de retraite. Parallèlement, le gouvernement s’est engagé à réduire significativement le déficit public, qui n’atteint aujourd’hui plus que 1,4% du PIB portugais. Les politiques de flexibilisation du marché du travail engagée sous le précédent gouvernement ont également été inversées. Le chômage est ainsi passé de 17,5% en 2013 à 9,4% en 2017, tandis que la précarité s’est sensiblement réduite en comparaison aux années de crise et d’austérité.
Comment le Portugal est-il parvenu à un tel succès ? Il semble effectivement que l’encouragement de la demande porte ses fruits et dynamise la consommation nationale, mais cela n’explique qu’à la marge le retour des investisseurs au Portugal. Les industries exportatrices ont, en effet, fait leur grand retour au Portugal, notamment dans le domaine de l’automobile (VW, Bosch, Continental), des textiles ou de la chaussure. Elles sont attirées par la qualité de la main d’œuvre (plutôt meilleure qu’en Europe orientale) et son coût compétitif. Le Portugal s’est également lancé dans une politique d’investissement dans l’immobilier haut de gamme, visant à attirer une clientèle européenne aisée, et source d’importants revenus. Ainsi, malgré le scepticisme initial de Bruxelles, force est de reconnaître que le Portugal s’en sort bien mieux que les autres pays touchés par la crise de la dette souveraine en Europe, aussi bien en termes de lutte contre le chômage que de réduction des déficits. De sorte que le succès portugais fait des émules chez Podemos en Espagne ou au Labour de Jeremy Corbyn, tandis que le FMI salue les progrès effectués par le Portugal.
Une reprise qui repose sur des bases encore fragiles
Toutefois, cette belle réussite est plus fragile qu’il n’y paraît. En effet, la relance des exportations portugaises dépend avant tout de la croissance de la demande de ses voisins européens, et notamment de l’Espagne, qui bénéficie à l’heure actuelle d’une forte croissance. Or, au moindre retournement affectant les importations, le Portugal pourrait voir ses exportations s’effondrer. Qui plus est, les gains de productivité du Portugal restent très faibles (+0,3% en 2015), ce qui sous-tend une croissance pas nécessairement très soutenable sur le long terme. Enfin, la relance de la demande s’est faite au prix de la chute des investissements publics et le gel des dépenses de santé.
Ainsi, la probable nomination de Mario Centeno à la tête de l’Eurogroupe viendrait sanctionner le succès du nouveau modèle portugais en Europe. Mais il est également probable qu’il soit plus consensuel pour beaucoup d’Européens que le candidat slovaque, étant donné les frictions est-ouest au sein de l’UE.