L’Union européenne contre les paradis fiscaux : un combat perdu d’avance ?
Le Conseil européen vient de publier sa liste noire des paradis fiscaux, en réaction au récent scandale des « Paradise Papers ». Cette enquête, menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), a fourni à l’Union européenne une opportunité idéale pour remettre la question des paradis fiscaux au centre des débats. En effet, les multinationales et grandes fortunes européennes profitent des politiques d’optimisation fiscale menées par ces territoires pour contourner les taxations des pays où ils investissent. L’évasion fiscale coûte tout de même près de 1000 milliards d’euros par an à l’Union européenne. Cette liste noire a pour ambition de régulariser les pratiques fiscales à l’échelle de la planète pour pallier à ces inégalités d’imposition. Néanmoins, la lutte contre les paradis fiscaux exacerbe toutes les contradictions de l’Europe actuelle, où chaque État cherche à faire valoir ses intérêts.
Une liste noire victime d’enjeux politiques
Pierre Moscovici, l’actuel commissaire européen à la fiscalité qui a donné son nom à cette liste noire, achève un combat qu’il mène depuis déjà trois ans. En effet, l’ancien ministre des Finances français a proposé dès 2014 une liste qui faisait la synthèse des listes noires de 18 des États membres de l’Union. Jean-Claude Junker, alors récemment devenu Président de la Commission européenne, a soutenu cette liste après le dévoilement des stratégies d’optimisation fiscale luxembourgeoises («Luxleaks»), dont il a pourtant été président pendant 18 ans. Cette liste contenait alors 30 noms, mais pas celui du Luxembourg.
Après le scandale des « Panama Papers » qui éclate en avril 2016, la Commission décide voir plus grand. Elle définit un paradis fiscal selon trois critères : le manque de transparence, des pratiques fiscales déloyales et des taux d’impositions sur les bénéfices nuls. 92 juridictions comportent alors au moins un des trois critères, et figurent sur la nouvelle liste Moscovici. Parmi eux, Monaco, la Turquie, le Brésil ou encore les États-Unis, mais aucun Etat membre de l’Union européenne. Néanmoins, la Commission se heurte de nouveau aux réclamations de certains États membres. Le Royaume-Uni, qui vient de voter le Brexit, veut préserver les montages financiers des territoires qui lui sont rattachés, comme les îles Caïmans, les îles Vierges britanniques ou l’île de Man. Le Luxembourg, les Pays-Bas ou l’Irlande attirent également certaines entreprises de par leur juridiction avantageuse, et s’opposent au critère de taux zéro. Ce dernier devient alors seulement un « indicateur » et non plus un critère de définition des paradis fiscaux.
La marge de manœuvre de la liste Moscovici semble très réduite
Cette révolution politique que l’Union européenne voulait amorcer fait alors pâle figure. De nombreuses États et territoires s’engagent à suivre le « Code de conduite » rédigé par le Conseil européen, et sortent in extremis de la liste noire. Finalement, seules 17 juridictions figurent sur la liste Moscovici. On peut noter l’absence des Îles Vierges, des les Îles Caïmans, de Hong-Kong, de Singapour, et de la Chine. De plus, aucune sanction n’est pour l’instant envisagée par l’Union européenne contre ces territoires, ce qui risquerait de rendre cette liste caduque.
Enfin, il existe déjà plusieurs autres listes du même type, publiées par d’autres organisations. L’OCDE a par exemple publié sa propre liste en 2009, en réaction à la crise des subprimes : 4 pays étaient sur liste noire (Costa Rica, Malaisie, Philippines et Uruguay) et 38 pays sur liste grise. Aujourd’hui, seule la République de Trinité-et-Tobago figure sur la liste noire, bien que les problèmes de juridiction fiscale semblent loin d’être réglés.
Il est encore trop tôt pour statuer de l’efficacité de la liste Moscovici, mais les défis qu’elle va devoir relever sont majeurs. Avec cette liste, l’Union européenne peut soit s’affirmer comme une entité politique de premier rang et moteur d’un nouveau cadre économique mondial, soit rappeler au reste du monde ses difficultés à rassembler ses États membres autour d’un projet commun. Dans le même temps, les paradis fiscaux continuent d’adapter leurs juridictions pour s’assurer de rester dans la légalité. Le récent scandale des « Paradise Papers » a marqué l’opinion publique de par le dévoilement d’activités considérées comme « légales ». Si des montages financiers tels que ceux découverts le mois dernier sont autorisés, il semblerait qu’il faille revoir tout notre système économique, et non pas seulement celui de certains territoires. Pour l’instant, les paradis fiscaux semblent encore loin de disparaître.